Opinion
Il n’y a pas eu de plombier polonais, il n’y aura ni métallo bulgare ni vendeuse roumaine

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), vice-président de l‘USS

« On ne défend pas les travailleurs avec un « non » le 8 février prochain, mais en s’alliant avec les autres syndicats européens pour combattre le dumping social ». Ces propos d’une militante reflète bien la philosophie qui règne au sein du mouvement syndical à propos de la reconduction de la libre circulation des personnes et de son extension à la Roumanie et à la Bulgarie, sur laquelle nous voterons le 8 février prochain. Après le Parti socialiste suisse (PSS), l’Union syndicale suisse (USS) et Unia, sa principale composante, ont récemment pris position en faveur de ce projet, essentiel pour l’avenir politique, sociale et économique de notre pays et pour nos relations avec l’Union européenne (UE).

Face à la libre circulation des personnes, qui fait partie d’un « paquet » de sept accords bilatéraux (obstacles au commerce, agriculture, transport ferroviaire, transports aérien, marchés publics, recherche) conclus entre la Suisse et l’UE, il convient de se poser au moins cinq questions :

● Entrée en vigueur en 2002, la libre circulation a-t-elle eu de graves conséquences sociales ? Durant les années nonante, avant l’intégration de la Suisse au marché européen de l’emploi, le taux de chômage en Suisse était nettement plus important qu’aujourd’hui. Certes, depuis quelques semaines, le recours au chômage partiel ne cesse de se développer, des entreprises annoncent des licenciements. Mais cette dégradation de la situation économique ne découle pas de notre intégration progressive au sein de l’UE. Elle est le produit de la politique calamiteuse menée par les grandes banques qui, comme l’UBS, ont fait des rendements à court terme le pilier central de leur action. La libre circulation n’a pas non plus entraîné un « envahissement » du pays, cela se saurait. Autant dire qu’il n’y a ni syndrome du métallo bulgare, ni syndrome de la vendeuse roumaine. Cela restera un mythe, comme celui du plombier polonais.

● Les mesures d’accompagnement permettent-elles de faire face aux risques de dumping social et de sous-enchère salariale ? Mises en place en même temps que la libre circulation des personnes, ces mesures ont été améliorées de manière conséquente, grâce à l’action conjointe du PS et des syndicats. Les contrôles sur les chantiers et dans les entreprises seront renforcés. Unia a conclu une convention collective de travail (CCT) dans le domaine du travail temporaire, où les rapports de travail sont très instabes, et un contrat-type de travail (CTT) national s’appliquera à d’autres salariés en situation précaire, soit les travailleurs de l’économie domestique (personnel de maison). Le bilan relatif aux mesures d’accompagnement est donc positif. Ce qui n’empêche pas les syndicats de rester vigilants. Prochaines étapes : la protection des délégués syndicaux et des membres des commissions d’entreprises contre les licenciements et l’instauration d’un salaire minimum légal.

● Un plus pour l’économie suisse ? Le patronat prétend qu’un « non » le 8 février serait une catastrophe pour l’économie suisse. Le propos est exagéré. Il n’empêche que les accords bilatéraux ont eu un impact positif sur la croissance et donc sur l’emploi. Durant les années 90, les difficultés économiques ont en partie fait suite au rejet de l’Espace économique européen (EEE), alors que la mise en œuvre des accords bilatéraux a coïncidé, dans les années 2000, avec une réelle phase de développement. Les accords bilatéraux ont facilité l’accès des industries suisses d’exportation (machines, chimie, horlogerie, agroalimentaire) au grand marché européen. Si les accords bilatéraux devaient tomber, il en résulterait de nouvelles difficultés, en particulier une aggravation du chômage.

● La clause guillotine un coup de bluff? Le Conseil fédéral prétend qu’en cas de « non » le 8 février prochain, tous les accords bilatéraux passeraient à la trappe. Cette affirmation ne relève pas du chantage, car l’ensemble des accords bilatéraux forment un tout : l’un ne va pas sans les autres. L’Union européenne n’accepte aucune discrimination entre ses membres. Raison pour laquelle ce qui s’applique à l’Union à vingt-cinq doit aussi valoir pour la Roumanie et la Bulgarie.

● Adieu l’adhésion ? Parmi les pro-européens, d’aucuns craignent que la multiplication des accords bilatéraux ne fasse le jeu des adversaires de l’adhésion à l’Union européenne. A long terme, le raisonnement n’est pas faux, car ces accords apportent nombre d’avantages à notre pays, surtout aux milieux économiques, mais laissent de côté l’acquis social communautaire et ne nous donnent aucun droit de décision sur notre avenir et sur celui de l’Europe. Mais à court et moyen terme, ces accords sont utiles à la Suisse. Et ce n’est pas une victoire de l’UDC et des nationalistes de tous poils, le 8 février prochain, qui créera un rapport de forces favorable à la relance de l’adhésion !