Opinion
Les socialistes doivent redevenir … socialistes !

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU) et politologue 

Dans une interview parue le 27 septembre dans « Sonntag », Christian Levrat, président du Parti socialiste suisse (PSS), n’a pas exclu que les socialistes entrent dans l’opposition à l’issue des élections fédérales de 2011 si, d’aventure, le PSS devait perdre l’un de ses deux sièges au Conseil fédéral.

Nous partageons cette analyse, à cette nuance près que Christian Levrat envisage une sortie du Conseil fédéral sous la contrainte, alors que cette hypothèse doit être examinée dans un cadre plus large, tenant tout à la fois compte de la crise globale de la social-démocratie en Suisse et en Europe, de son rapport difficile avec les classes populaires, de la nécessaire réorientation du projet socialiste, des rapports de force et des alliances possibles.

Les socialistes européens vont de défaite en défaite et de crise en crise, la récente victoire du PASOK en Grèce constituant une exception notable. En 2007, le PS suisse a subi l’un de ses plus graves échecs depuis 1919, avec la perte de neuf sièges au Conseil national. Depuis que Lionel Jospin n’est plus aux commandes, le PS français est au bord de l’implosion, minée par des conflits personnels qui dépassent l’entendement. Tout récemment, le SPD allemand a enregistré son plus mauvais score depuis l’après-guerre, alors que les socialistes portugais, tout en restant le premier parti du pays, sont désormais minoritaires.

Au-delà des particularités propres à chaque pays, la crise du socialisme européen repose sur un certain nombre de données communes, que j’ai explicitées dans un essai (*) paru récemment :

• Nombre de PS ont par trop délaissé les catégories sociales populaires, au profit de la défense presque exclusive des classes moyennes. Ce fut le cas en Allemagne, avec les réformes antisociales de Schröder, notamment sur la question des retraites, de l’assurance-maladie et de l’assurance-chômage.

● La participation à de larges coalitions, comme en Allemagne ou en Suisse, désarçonne une grande partie de l’électorat, qui ne voit plus quelles sont les orientations du gouvernement.

• Cela a conduit nombre de travailleurs a se réfugier soit dans l’abstention, soit dans le vote protestataire, généralement en faveur de partis nationaux-populistes (comme l’UDC en Suisse) mais aussi pour la « gauche de la gauche », comme « Die Linke » en Allemagne, laquelle avec près de 12 % des voix, a doublé son audience par rapport aux précédentes élections. Même schéma au Portugal, où la gauche « anticapitaliste » (communistes, Verts, anciens gauchistes) a obtenu près de 20 % des suffrages.

• Du fait de cette évolution, les liens entre la social-démocratie et le mouvement syndical se sont distendus, alors que l’une des clefs de ses succès antérieurs résidait dans cette unité, la Suède étant, historiquement, le meilleur exemple de cette collaboration entre l’un des partis socialistes les plus forts du monde et l’un des mouvements syndicaux les mieux implantés dans le monde du travail.

• La social-démocratie accorde désormais une importance majeure à la protection de l’environnement, aux énergies renouvelables et au développement durable, ce qui est tout à son honneur. Mais elle se berce d’illusions si elle croit qu’elle pourra contrer les Verts sur ce terrain, car celui-ci constitue leur « marque de fabrique », alors que celle de la social-démocratie réside dans la défense de l’Etat social, dans une fiscalité plus juste, dans la promotion du logement social ou dans le développement des services publics. Bref, dans la défense des salariés à revenu modeste ou moyen. Ce qui, évidemment, n’enlève rien à la nécessité de forger de nouveaux outils par rapport aux « recettes » du passé. Plutôt qu’une réduction linéaire de la durée du travail, on pourrait ainsi imaginer, à terme, l’introduction de la semaine de 4 jours, le gain réalisé par les travailleurs étant partagé entre la famille, la formation continue et les loisirs.

• Enfin, la social-démocratie a par trop abandonné l’Union européenne aux néolibéraux et à leurs thèses. Elle se doit impérativement de reconstruire un projet européen, social, démocratique, culturel, et intégrant mieux l’ancienne Europe de l’Est aux destinées du continent, dans lequel se reconnaîtront mieux les peuples du continent.

A partir de là, les socialiste doivent se demander comment ils peuvent mettre en œuvre ce projet. Cela tient d’abord à leur capacité de conviction, de mobilisation et de communication.

Mais dans nombre de pays, ils ne pourront pas aller de l’avant sans construire des alliances solides. S’agissant de la Suisse, le PS et les Verts constituent le noyau dur de ce bloc progressiste, auxquels il convient d’ajouter les petits partis de gauche (POP, Solidarités, etc.). Ils feraient bien d’en prendre conscience, plutôt que d’entrer, comme ils le font depuis quelque temps, dans des querelles stériles sur des thèmes futiles ou sur le nombre de sièges qu’ils espèrent occuper au Conseil fédéral dans un peu plus de deux ans, sans aucune réflexion stratégique.

C’est en construisant ce projet, et à partir de là seulement, que les socialistes et les Verts pourront décider de leur participation au Conseil fédéral, de son utilité pour les catégories sociales qu’ils sont censés représenter et définir quels sont les éventuels alliés avec lesquels ils pensent diriger le pays.

(*) Jean-Claude Rennwald, Quand la gauche s’éveillera, Editions Favre, 2009.