Opinion
Une alliance entre prolos et bobos, clef du renouveau socialiste

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), vice-président de l‘USS

Suite aux mauvais résultats du Parti socialiste (PS) au Grand Conseil bernois (- 7 sièges), mais aussi dans d’autres cantons, le politologue zurichois Fabio Wasserfallen a attribué cet échec (Le Temps du 7 avril) au fait que la gauche, contrairement à l’UDC, n’a pas de profil clair, qu’elle refuse de faire un choix entre « l’aile syndicale des salariés modestes, attachés à l’Etat social » (les prolos) et « un électorat de gauche urbain, de pensée libérale, formé de personnes très qualifiés » (les bobos). Jean-Daniel Delley a tenu des propos semblables dans Domaine public (5 avril). Pour lui, « l’équilibre reste précaire entre les intérêts d’un électorat urbain et culturellement ouvert et ceux d’un électorat populaire, que représentent les syndicats, plus soucieux de protéger l’emploi contre le libre marché et la libre circulation des personnes imposée par Bruxelles ».

Des intérêts convergents
Ces analyses sont un peu courtes. Certes, les intérêts d’un ingénieur, d’un cadre commercial ou d’un enseignant ne sont pas toujours les mêmes que ceux d’une vendeuses ou d’un maçon. Il n’en demeure pas moins que dans le contexte d’une politique néolibérale exacerbée, les intérêts de la classe moyenne sont nettement plus proches de ceux du monde ouvrier que de ceux des couches les plus fortunées de la population. On l’a vu avec le rejet de l’abaissement des rentes du 2e pilier, on le verra avec la 11e révision de l’AVS ou avec la politique financière et fiscale. En période de crise, la classe moyenne est presque autant menacée par le chômage que les couches populaires.

L’exemple scandinave
Un ouvrier gagnant 5'000 francs par mois peut certes se sentir frustré par rapport à un ingénieur qui en touche le double. Reste à savoir si cette différence est plus importante que celle qui sépare ces deux salaires de celle qui les distingue des revenus de plusieurs millions, voire de plusieurs dizaines de millions engrangés par les dirigeants des grandes entreprises, les managers et autres traders. Sans parler du milliardaire Christoph Blocher.
En d’autres termes, il ne sera possible de modifier les rapports de force que si nous parvenons à construire une alliance de classes – populaire et moyenne – contre le grand capital financier. La social-démocratie scandinave, en particulier suédoise, l’avait déjà compris voici plusieurs décennies, en menant une politique conciliant les intérêts des classes moyennes et du monde ouvrier.

Le poids des syndicats
Dans l’ensemble, les auteurs du projet de programme que vient de publier le Parti socialiste suisse (PSS) ont assez bien réussi cette synthèse entre les aspirations de « ceux d’en bas » et de « ceux du milieu », avec une orientation clairement marquée à gauche. Et cela même si l’on peut regretter quelques lacunes : absence de propositions précises sur la retraite et la durée du travail, pas ou peu de critiques sur les déficits sociaux de l’Union européenne.
Le PSS en revient ainsi aux « fondamentaux » du socialisme et reconnaît le rôle central du mouvement syndical : « C’est la grande réussite historique des syndicats et du socialisme d’avoir arraché au marché du travail non régulé des salaires équitables et une certaine qualité de vie pour les salariés, grâce aux conventions collectives de travail et aux législations sur l’Etat social. » Le thème de la démocratisation de l’économie s’inscrit dans la même perspective. Encore une fois, il faut reprendre l’exemple de la Suède, puisque la réussite sociale de ce pays, même s’il a connu quelques échecs, tient pour beaucoup à la puissance des syndicats, qui rassemblent jusqu’à 80 % des salariés !
Tout cela n’empêchera pas le mouvement syndical de garder son indépendance par rapport au PS et aux autres formations politiques, mais tout en sachant que ce sont les partis de gauche (PS, Verts, petites formations politiques) qui sont les meilleurs relais des aspirations du mouvement syndical, et surtout des travailleuses et des travailleurs, dans l’ensemble des institutions.
 

La chasse à l’abstention sera centrale
Depuis les élections fédérales d’octobre 2007, des élections ont eu lieu dans 14 cantons. Le PS a perdu des plumes partout, et alors qu’il occupait 21,1 % des sièges de tous les Grands Conseils en 2007, il n’en détient plus que 18,8 %.
Dans beaucoup de cas, une partie des voix socialistes a été gagnée par les Verts. Mais ce mouvement semble être arrivé à son terme, puisque lors des élections bernoises, tant le PS que les Verts ont reculé, ce qui ne s’était jamais produit jusqu’ici. Grâce à son nouveau programme et à son engagement dans d’importantes batailles sociales (baisse des rentes du 2e pilier, assurance-chômage, 11e révision de l’AVS, initiative pour un salaire minimum légal ou initiative 1 :12 des Jeunes socialistes), en collaboration avec les syndicats, le PS a la capacité de rebondir et de récupérer une partie de l’électorat populaire qui s’était dirigée vers d’autres partis, notamment l’UDC. Mais il devra avant tout mettre l’accent sur la chasse à l’abstention (près de 70 % lors des élections bernoises !), car il y a là un énorme potentiel d’électeurs, appartenant dans une large mesure au monde du travail. Des électeurs souvent désillusionnés, mais que la clarification politique en cours au sein du PS devrait permettre de remobiliser.