Tribune
Immigration : pas de panique !

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), secrétaire central Unia

L’UDC, le Mouvement des citoyens genevois et la Lega dei Ticinesi ont lancé l’attaque contre les migrants, au nom de la défense des chômeurs. Comme si la limitation de l’immigration permettait de redonner du travail aux chômeurs. La réalité est beaucoup plus complexe. La preuve par l’industrie horlogère : cette branche peine actuellement à recruter la main-d’œuvre – notamment qualifiée - dont elle a besoin, parmi les Suisses comme parmi les frontaliers.

Les craintes face à l’immigration « mangeuse d’emplois » ont été avivées par l’application, depuis le 1er mai dernier, de la libre circulation des personnes à huit nouveaux pays d’Europe centrale et orientale. Pourtant, rien ne permet de dire que cette ouverture entraînera un afflux de main-d’œuvre. D’abord parce que tout ressortissant européen qui veut venir travailler en Suisse doit prouver qu’il a un emploi. Ensuite parce que ces pays connaissent une bonne croissance économique. Et surtout parce que même dans des conditions sociales difficiles tout individu reste attaché à ses racines : l’immigration est toujours difficile, en particulier vers un pays dont on ne connaît pas la langue. D’ailleurs, jusqu’ici, les quotas à disposition de ces pays n’ont pas été épuisés.

Le discours accusateur envers l’immigration qui se répand tend par ailleurs à confondre les migrants européens qui viennent travailler en Suisse et les personnes qui y demandent l’asile. Si les médias couvrent abondamment la question des réfugiés tunisiens,  nous n’assistons pour le moment pas en Suisse aux venues en masse annoncées par l’UDC. Entre le 1er et le 15 avril, les cinq centres d’enregistrement de Suisse ont enregistré 111 demandes d’asile de la part de Tunisiens, 9 de Libyens et 6 d’Egyptiens. Elles sont certes en augmentation, mais dans des proportions parfaitement gérables, surtout au vu de la situation dans ces pays. Quand bien même leur nombre augmenterait, les problèmes qui se poseraient ne seraient dans un premier temps en tout cas pas ceux de l’emploi, puisque les requérants d’asile n’ont pas le droit de travailler.

Il ne faut pas cacher que comme n’importe quel autre individu, les migrants engendrent des coûts (écoles, infrastructures, etc.). Ce qu’on oublie, c’est que les migrants – en stricts termes économiques - « rapportent » davantage à la société qu’ils ne « coûtent ». Dans notre pays, les migrants financent davantage les assurances sociales (AVS, AI, assurance-chômage, etc.) qu’ils ne touchent de prestations. Le conseiller fédéral radical Didier Burkhalter a d’ailleurs récemment souligné que l’assise financière de l’AVS reposait en bonne partie sur l’immigration. Oser prétendre que les migrants engendrent des coûts écologiques, et ainsi les assimiler à une pollution, est une dérive honteuse.

Cela ne signifie pas que nous vivons dans un monde parfait. A défaut de réponses toutes faites, les deux pistes suivantes sont prioritaires pour éviter les dérives isolationnistes voire racistes au sien de notre population :

- La situation économique du plus grand nombre doit être au moins stabilisée. Si cela passe par une fiscalité garante d’une réelle redistribution des richesses, des primes d’assurance maladie proportionnelles au revenu et des loyers réalistes, cela dépend en premier lieu des salaires. Les travailleurs établis, Suisses ou immigrés, ne peuvent admettre que des employeurs abusent de la main-d’œuvre frontalière ou européenne pour faire pression sur leurs salaires et leurs conditions de travail. En Suisse, les mesures d’accompagnement doivent être appliquées de façon plus offensive que jusqu’ici. Là où les contrôles existent, ils sont efficaces : il faut les renforcer et augmenter les sanctions. Dans l’UE, certaines évolutions doivent être condamnées : restriction du droit de grève dans la lutte contre le dumping social ; remise en cause du principe « A travail égal, salaire égal au même endroit ; dénonciation des mesures légales de protection contre la sous-enchère salariale (suite aux arrêts Viking, Laval, Luxembourg et Rüffert de la Cour européenne de justice). Cette lutte doit être continentale : l’Union syndicale suisse va proposer à la Confédération européenne des syndicats de lancer une initiative européenne (1 million de signatures) contre le dumping salarial et social.

- L’intégration des migrants doit être renforcée. Par la formation : toutes les études montrent que les immigrés et leurs enfants s’intègrent mieux quand ils sont formés. Par la participation à la vie politique et associative : avec plus de la moitié de ses membres d’origine étrangère, le syndicat Unia est ainsi la principale force d’intégration du pays ! Pourtant, ces travailleurs restent souvent sans droits politiques. Certes, dans les cantons où les migrants disposent de ces droits, leur participation est faible. C’est plus un problème de classe sociale que de nationalité : beaucoup de migrants appartiennent aux classes populaires, dont les membres votent en général peu, précisément en raison de leur manque de formation.

Attaquer les migrants en prétendant défendre les travailleurs revient à se tromper de cible. Ce sont les conditions de travail qu’il faut défendre, quelle que soit la couleur du passeport de celui ou celle qui l’exécute.