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Une comparaison entre la Romandie et la Suisse alémanique le montre, la force du PS, c’est d’abord sa combativité

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU) et politologue, avec la collaboration scientifique de Stéphanie Lachat

A la suite des élections fédérales de 1999, d’aucuns ont souligné avec force, à l’intérieur comme à l’extérieur des rangs socialistes, que le PS avait progressé en Suisse alémanique et reculé dans les cantons romands. A leurs yeux, l’échec de la « ligne socialiste romande », plus combative et marquée par le « conservatisme étatique » était ainsi confirmé de manière éclatante et « scientifique ». Moralité, la stratégie plus centriste des socialistes alémaniques devrait désormais s’imposer dans l’ensemble du pays, faute de quoi le PSS irait à la faillite ces prochaines années.

Certes, si l’on se contente d’une analyse superficielle, limitée à une comparaison des résultats de 1995 et 1999, pour le Conseil national, ce constat n’est pas faux. Durant cette période, le PS a régressé de 0.9 % en Romandie, alors qu’il a gagné 0.2 % en Suisse alémanique. Mais cette évolution doit être fortement relativisée, sur la base de trois éléments au moins :

  • Si l’on ne considère pas seulement les voix obtenues au Conseil national par le PS, mais celles de l’ensemble de la gauche (PS, Verts, petits partis de gauche), la situation est nettement à l’avantage des francophones. Ensemble, ces forces ont progressé de 1.6 % en Suisse romande, alors qu’elles ont reculé de 1.5 % Outre-Sarine. On notera au passage qu’en Romandie, c’est dans le canton de Neuchâtel, où le PS a la réputation d’être modéré, que la progression des petits partis de gauche est la plus marquée.

  • Analysée sur le long terme, c’est-à-dire sur près de trente ans, l’évolution est toute différente. Entre 1971 et 1999, le PS a gagné 2.3 % en Romandie et 5.6 % au Tessin, alors qu’il a reculé de 2.6 % en Suisse alémanique. Ce clivage connaît bien sûr des exceptions, puisque durant cette période, les socialistes ont enregistré une progression spectaculaire dans les Grisons, canton où il y a une forte articulation entre le PS et les agriculteurs bio, lesquels représentent le tiers du monde paysan.

  • Il faut toujours savoir d’où l’on part pour apprécier un résultat. Or, il apparaît que parmi les huit cantons où la gauche a enregistré ses scores les plus élevés en 1999, cinq sont romands (tous sauf le Valais.

Les Romands fidèles aux mots d’ordre du PSS...

Ces observations sont confirmées par l’analyse d’un certain nombre de scrutins fédéraux. Pour les 86 votations qui ont eu lieu entre les élections de 1991 et de 1999 (deux législatures), on remarque que c’est à Genève et à Bâle-Campagne que le vote du canton a le plus souvent correspondu (55 cas)  avec le mot d’ordre du PSS. Neuchâtel (49 cas) occupe le quatrième rang de ce classement, Vaud (47 cas) le huitième, Fribourg (46 cas) le dixième, et le Jura (45 cas) le douzième. Autrement dit, et exception faite du Valais, qui est bon dernier, les cantons romands votent nettement plus souvent dans le sens voulu par le PSS que la Suisse alémanique, en proportion de leur nombre. Avec 48 votes conformes au mot d’ordre du PSS, le Tessin occupe un excellent cinquième rang.

Dans une large mesure, ces statistiques confirment l’analyse récemment effectuée par deux chercheurs, Michael Hermann et Heiri Leuthold (« Le Temps », 25 juillet 2001), analyse qui montre que lors des votations de ces dix dernières années, la Suisse romande a glissé toujours plus à gauche et la Suisse alémanique toujours plus à droite. En d’autres termes, chacune des régions linguistiques devient plus homogène politiquement, et l’ancrage à gauche de la Romandie exprime avant tout son sentiment de dépendance à l’égard de la Suisse alémanique et plus particulièrement de Zurich, mais aussi sa volonté de résistance.

… et aux syndicats

Le progressisme plus affirmé de la Suisse romande ne relève pas seulement de critères purement politiques, au sens partisan du terme. Il découle aussi des rapports économiques et sociaux, lesquels dépendent notamment de l’influence des organisations syndicales. Or, en l’espèce, les différences entre les deux grandes régions linguistiques du pays sont criantes. Quatre (Neuchâtel, Jura, Vaud et Genève) des six cantons romands ont un taux de syndicalisation – en terme d’appartenance à une fédération de l’Union syndicale suisse (USS) – supérieur à la moyenne nationale. A contrario, seuls trois (Bâle-Ville, Berne et Soleure) des dix-neuf cantons alémaniques nourrissent une aussi grande sympathie pour le mouvement syndical.

Sur le plan du recrutement, la plupart des syndicats rencontrent d’ailleurs davantage de problèmes en Suisse alémanique qu’en Romandie et au Tessin. Ainsi, 40 % des membres du syndicat FTMH, l’un des deux plus grands de Suisse, sont romands ou tessinois, alors que ces deux régions ne représentent que 28.8 % de la population du pays.

Le retour de l’Etat

Les chiffres qui précèdent et les explications qui les accompagnent n’ont pas pour objectif de jeter de l’huile sur le feu et d’exciter encore les passions entre régions linguistiques et entre Alémaniques et Romands au sein du PS. Il n’en reste pas moins que ces observations sont de nature à fortifier la ligne des socialistes romands, ligne qui, pour l’essentiel, se distingue de celle de leurs camarades alémaniques (avec des nuances entre cantons dans les deux cas) sur les points suivants :

  • L’importance plus grande accordée à l’Etat dans la régulation des mécanismes socio-économiques.

  • Des liens plus étroits avec le mouvement syndical.

  • Un ancrage plus important dans la classe ouvrière et les milieux populaires en général. Pour ne prendre qu’un exemple, les ouvriers qualifiés et non qualifiés représentent près de 40 % de l’électorat du PS dans les cantons de Vaud et de Genève, mais un peu plus de 20 % seulement en Argovie, à Berne ou à Zurich.

Ce qui précède ne signifie évidemment pas que le PS ne doit pas s’intéresser à d’autres catégories sociales. D’ailleurs, nous avons toujours prétendu que le PS ne pouvait progresser sérieusement que s’il parvenait à mener une politique servant tout à la fois le monde du travail « traditionnel » (ouvriers, chômeurs, employés subalternes) et la nouvelle classe moyenne (travailleurs sociaux et de la culture, enseignants, techniciens, etc.). Mais cela exclut encore moins la nécessité de prendre en compte une tendance forte, à savoir le retour de l’Etat, du service public et du politique. Sous le titre « La redécouverte de l’Etat », Jean-Paul Fitoussi, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), écrivait récemment (« Le Monde » , 22 septembre 2001): « La récession de demain n’est inscrite dans les données d’aujourd’hui que si la mécanique des comportements individuels ne rencontrait pas l’action politique. Mais il existe une possibilité que le XXIe siècle s’ouvre aussi sur une réhabilitation du politique. »  Certains événements survenus en Suisse et dans le monde lui donnent largement raison :

  • Après les attentats du 11 septembre, la Réserve fédérale et les autorités américaines ont adopté des mesures draconiennes afin que l’économie du pays ne plonge par trop dans la récession.
  • En Grande-Bretagne, toujours plus nombreux sont ceux qui se demandent, à la lumière des résultats financiers et d’une sécurité déficiente, si la privatisation des chemins de fer a vraiment été une bonne chose.
  • En Suisse, la débâcle de Swissair, dans laquelle les « 200 familles radicales zurichoises », adeptes forcenées du « moins d’Etat », portent une lourde responsabilité, a clairement montré que dans des situations de crise aiguë, l’économie privée avait besoin du soutien des pouvoirs publics pour passer un (très) mauvais cap. Sans les centaines de millions débloqués par la Confédération, la flotte de Swissair aurait été définitivement clouée au sol, créant du même coup une situation encore plus catastrophique que celle que nous connaissons, et une nouvelle compagnie ne pourra repartir que grâce à un engagement important des collectivités publiques. Un récent sondage (« dimanche.ch, 21 octobre 2001) montre par ailleurs que l’engagement et les propositions du PSS dans le dossier Swissair a fait remonter sa cote de popularité.
  • En Suisse toujours, la privatisation ou la libéralisation de certains secteurs économiques se heurte à une contestation grandissante. Même si le Parlement n’a pas voulu prendre le taureau par les cornes, la restructuration des bureaux de poste provoque une grogne permanente. Récemment, les citoyennes et les citoyens vaudois ont rejeté la privatisation partielle de leur banque cantonale. Dans plusieurs villes ou cantons (Zurich, Nidwald, Bellinzone), une nette majorité du corps électoral a clairement rejeté la privatisation des installations de production et de distribution d’électricité.

Assurément, ces quelques signaux ouvrent de nouvelles perspectives à un PS et à une gauche qui se veulent combatifs. C’est sans doute ce que les « socialo-libéraux » appellent le « socialisme archaïque ». Mais il faudra alors que ces blairistes à la sauce helvétique nous expliquent pourquoi les cantons romands, qui votent très souvent dans le sens voulu par le PS, où la gauche et le PS sont plus forts qu’en moyenne nationale et où le taux de syndicalisation est plus élevé que sur le plan suisse, sont aussi ceux qui sont les plus sensibles aux questions d’ouverture, celle de l’Europe en particulier.

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