Tribune
Salaire minimum légal :
un complément aux conventions collectives

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), vice-président de l’USS

Dans notre pays, plus de 60 % des salariés n’ont pas de salaires minimums garantis et quelque 400'000 travailleuses et travailleurs gagnent moins de 22 francs à l’heure. Tels sont quelques-uns des constats qui ont conduit l’assemblée des délégués de l’Union syndicale suisse (USS) à adopter, lundi dernier, le texte d’une initiative populaire en faveur de la création d’un salaire minimum légal en Suisse.

D’abord les CCT
Le fait que l’USS s’apprête à lancer une initiative pour un salaire minimum légal ne signifie pas que le mouvement syndical change son fusil d’épaule et qu’il ne veut plus jouer le jeu de la négociation conventionnelle et du partenariat social. Au contraire, puisque l’initiative prévoit que pour protéger les salaires sur le marché suisse de l’emploi, la Confédération et les cantons encouragent en particulier « l’adoption et le respect de salaires minimums d’usage dans la localité, la profession et la branche dans les conventions collectives de travail ». Autrement dit, ce salaire minimum légal sera conçu comme un instrument subsidiaire par rapport aux salaires minimums fixés dans les CCT. Par conséquent, ce salaire minimum légal jouera surtout un rôle dans les branches où la conclusion d’une CCT n’est pas possible ou dans lesquelles des salaires minimums acceptables ne peuvent pas être négociés.

Pas de double jeu
Dans ces conditions, on ne pourra pas reprocher au mouvement syndical de jouer un double jeu, celui des CCT et celui de la loi. Ce reproche ne résiste pas à un examen rigoureux de la réalité sociale :

● 400'000 personnes ont encore un salaire inférieur à 3'500 francs par mois dans notre pays, alors que les besoins vitaux d’un individu sont estimés à 3'570 francs.

● 22 % des salaires sont inférieurs à 4'000 francs.

● Seuls 50 % des salariés sont au bénéfice d’une CCT, ce qui est le plus faible taux de couverture conventionnelle d’Europe occidentale, exception faite de la Grande-Bretagne.

● Certaines conventions collectives ne fixent pas de salaires minimums de branche.

• L’adoption d’une CCT ne se prête pas ou guère dans certaines branches, faute d’une organisation patronale ou d’une association patronale représentative.

• Il faut apporter la preuve de l’existence d’abus pour que les autorités adoptent des contrats-type de travail prévoyant des salaires minimums obligatoires.

• Enfin, toutes les adaptations du salaire minimum légal et de la législation se feront avec le concours des partenaires sociaux.

Un juste équilibre
Un salaire minimum de 22 francs à l’heure correspond à un salaire mensuel d’environ 3'800 francs pour une semaine de 40 heures. Il s’agit d’un montant approprié, en ce sens qu’une exigence trop faible constituerait un inconvénient en matière de politique salariale. A l’inverse, un salaire minimum légal ne doit pas trop s’écarter de la réalité des conventions collectives existantes. Il convient en outre de fixer un salaire minimum à l’heure, dans la mesure où tous les salariés n’ont pas le même horaire hebdomadaire de travail.

Concrètement, ce montant permettra de mettre fin à des situations intolérables, comme dans les branches du nettoyage et de la coiffure, où les salaires minimums se montent à 17 francs.

Intérêt pour le Jura
Importante à l’échelle nationale, cette initiative pour un salaire minimum légal présente un intérêt particulier pour le Jura, où les salaires sont nettement inférieurs à la moyenne nationale, où certains patrons abusent de la main-d’œuvre frontalière pour exercer une pression sur l’ensemble des salaires, et où les employeurs ne sont pas les chantres du partenariat social. Pour ne prendre qu’un seul exemple, 70 % des entreprises horlogères suisses (représentant 83 % du personnel) sont signataires de la convention collective de la branche. Mais dans le Jura, ce taux tombe à 50 %. 

Un instrument contre la pauvreté
Evidemment, le salaire minimum devra être adapté régulièrement à l’évolution des salaires et des prix. L’USS a choisi à juste titre l’indice mixte AVS comme instrument de référence. Car celui-ci augmente non seulement au rythme de l’inflation, mais il tient aussi compte pour moitié de l’évolution des salaires.

Le débat public est ainsi lancé. Souhaitons qu’ils soit dense et riche et qu’une large alliance se mette en place, car il y va tout à la fois d’un minimum d’équité sociale, d’une contribution à la lutte contre la concurrence déloyale entre les entreprises correctes et celles qui le sont moins, et de la suppression d’importantes poches de pauvreté dans notre pays.