Tribune
Les Africains doivent se réapproprier l’Afrique

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU)

Véritable despote, Abdoulaye Wade, président du Sénégal, n’a pas hésité à déclarer, à l’occasion du 8e Forum social mondial (FSM), qui vient de s’achever à Dakar, que l’altermondialisme n’avait jamais rien apporté ni changé quoi que ce soit. Cette affirmation a déclenché passablement de critiques, pour deux raisons au moins.

D’abord parce que cette déclaration est intervenue au moment où des soulèvement populaires d’une ampleur inégalée ont éclaté en Tunisie, en Egypte et dans d’autres pays. Or, dans une large mesure, ces mouvements relèvent de l’altermondialisme, en ce sens que leurs protagonistes croient à la possibilité d’un monde – ou du moins d’un avenir - meilleur et qu’ils expriment les aspirations et les besoins profonds de la population. Ensuite parce que deux des ténors de la gauche altermondialiste ont fait la démonstration que les mouvements sociaux avaient la capacité de changer les rapports de force à l’intérieur d’un pays. Ancien président du Brésil, Lula a rappelé que dans son pays, 28 millions de personnes étaient sorties de la pauvreté ces dernières années. Président de la Bolivie, Evo Morales a indiqué qu’au moment où il était arrivé au pouvoir, en 2005, il n’y avait que 1'700 millions de dollars de réserves publiques, alors qu’aujourd’hui, elles se montent à 10'000 millions de dollars, grâce à la nationalisation de la gestion des ressources naturelles.

Malgré les révoltes en cours dans le nord du continent, l’Afrique n’en est pas encore là. Pays hôte du FSM, le Sénégal connaît une situation politique, sociale et économique explosive. Le pouvoir est organisé sur une base clanique, dans laquelle la famille du président Abdoulaye Wade, libéral, joue un rôle prépondérant. Son fils Kim dirige cinq ministères ( !) et contrôle de ce fait 47 % du budget de l’Etat. Il n’est pas possible de briguer plus de deux mandats présidentiels, mais pour contourner cette règle constitutionnelle, Abdoulaye Wade, 84 ans, va essayer de faire adopter par le Parlement une « loi interprétative » de la Constitution ! Le Sénégal importe plus de la moitié de ses denrées alimentaires, alors que ses terres et son climat lui permettent d’être autosuffisant. Avec des classes qui comptent 60 élèves ou plus, l’école ne joue pas son rôle. La situation de l’emploi est très fragile, car plusieurs millions de postes de travail relèvent de l’économie informelle (cireurs de chaussures, marchands ambulants, etc.) et les prises gigantesques des chalutiers appartenant à des multinationales menacent gravement les pêcheurs locaux. Quant au salaire mensuel, il est parfois inférieur à 100 francs suisses.

« Il faut nous rendre l’Afrique car elle ne nous appartient pas et cela hypothèque notre avenir », a lancé un jeune militant du continent noir. L’Afrique est selon lui sous la coupe des multinationales et des marchés financiers, comme en témoigne le fait que la spéculation sur ses produits miniers s’opère à la bourse de Toronto. Le salut passe par la construction d’une véritable unité africaine, avec notamment une armée, une force de prévention des conflits et une monnaie communes à tous les pays du continent. Et le même d’ajouter : « Nous avons le franc CFA qui repose sur une monnaie, le franc français, qui n’existe même plus ! » Mais pour ce militant, dont nous partageons une bonne partie de l’analyse, le changement social passe aussi par la redécouverte de la marge de manœuvre de l’Etat, par la renaissance des cultures africaines, par la souveraineté alimentaire et par la libération des femmes.

Le FSM ne saurait être comparé à un congrès. C’est un lieu d’échanges, le plus grand du monde pour les mouvements sociaux. Côté syndical, les pays du sud de l’Europe ainsi que le Québec étaient présents à Dakar, contrairement aux Allemands et aux Nordiques. C’est dommage, car pour les syndicats, le forum constitue une occasion unique de nouer des liens et de créer des alliances avec d’autres mouvements, comme celui des femmes ou des organisations paysannes, ces dernières jouant un rôle beaucoup plus grand que les syndicats dans les pays du Sud.

Avec six délégués, le syndicat Unia a pris une part active à ce forum, notamment lors de la marche inaugurale qui a réuni quelque 70'000 participants, et en mettant sur pied un atelier sur les droits des migrants. Il est apparu que les migrations constituent un enjeu central et que la régularisation des sans papiers est susceptible de constituer un objectif fédérateur pour les syndicats et d’autres mouvements sociaux. La libre circulation des personnes fait figure de droit fondamental pour les peuples des pays en développement. Nous partageons ce point de vue, à cette nuance près que nous n’avons entendu aucune idée pour éviter que la libre circulation des personnes ne soit pas synonyme de dumping salarial. En l’espèce, le syndicalisme suisse, en particulier l’USS et Unia, ont incontestablement un savoir-faire à mettre au service des travailleurs d’autres pays, du Nord comme du Sud.