Tribune
Relance économique : encore un effort, svp

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU)

A une majorité (PS, Verts, une partie du PDC et quelques UDC) relativement confortable (103 voix contre 74 et 5 abstentions), le Conseil national vient d'accepter l'idée d'une réglementation du prix du livre ou d’un prix unique du livre. Cette décision fait suite à cinq ans de travaux parlementaires, initiés par une initiative du défunt Jean-Philippe Maître, démocrate-chrétien genevois.

Cette décision, prise contre l'avis du Conseil fédéral ainsi que de Doris Leuthard et du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) en particulier, mérite d'être saluée à plus d'un titre. En effet, un prix réglementé - ou prix unique du livre - n'offre selon nous que des avantages culturels, sociaux et économiques:

- Le livre n'est pas une marchandise comme une autre.
- Un livre, c'est un objet qui a une dimension éminemment culturelle, intellectuelle et souvent éducative. A ce titre, les livres appartiennent au patrimoine de l'humanité.

Librairies en péril
Or, ce patrimoine livresque est aujourd'hui menacé, notamment parce que le marché du livre est de plus en plus entre les mains de quelques grands groupes, comme, en Suisse, Orell Füssli ou la FNAC. En Suisse romande, les librairies indépendantes ne détiennent plus que 35 à 40 % du marché. Et les grands groupes pratiquent des rabais systématiques sur les bestsellers, du genre Harry Potter ou Paul Lou Sulitzer. Ces pratiques mettent en péril la survie des librairies indépendantes - qui ne peuvent pas offrir les mêmes rabais tout en proposant une gamme beaucoup plus étendue d'auteurs et de titres que les grandes surfaces-, mais aussi celle des petits éditeurs, qui n'ont guère de chances d'être vendus par les grandes chaînes de distribution.

Ces dix dernières années, des dizaines et des dizaines de librairies ont disparu dans notre pays, notamment en Suisse romande. Il est temps de mettre fin à ce massacre! Et ceci d'autant plus que ce processus a entraîné de nombreuses suppressions d'emplois, qui n'ont de loin pas été compensées par les grands groupes et les grandes surfaces.

Plus grave encore: le marché du livre étant un marché de l'offre (50 % des livres sont achetés parce qu'ils sont vus par un lecteur potentiel, les ouvrages peu connus et plus marginaux étant les premiers à en bénéficier), plus les chances de ventes diminuent si le nombre de points de ventes se rétrécit, et plus il devient difficile de défendre la diversité culturelle représentée par les livres.

Diversité culturelle
Dans ces conditions, force est d'admettre que le projet de réglementation du prix du livre favorisera la diversité culturelle, les librairies indépendantes, les petits éditeurs et les auteurs, et contribuera du même coup à faire contrepoids au développement d'une culture unique et mondialisée. Les lectrices et les lecteurs seront aussi d'autres gagnants de ce nouveau système, en ce sens qu'ils pourront continuer de profiter d'un réseau de distribution aussi large que possible, le seul susceptible de garantir un contact étroit, commercial mais surtout culturel, entre ceux qui vendent et ceux qui achètent des livres, entre un acheteur curieux et ce conseiller irremplaçable qui s'appelle libraire.

Contradictions gouvernementales
Avant les délibérations du Conseil national, le Conseil fédéral s'est fendu d'un avis totalement opposé à une réglementation du prix du livre, avis fondé sur un tissu de contradictions que nous résumons ici au moyen de quelques questions:

- Comment le Conseil fédéral peut-il affirmer que le marché du livre n'est pas défaillant, alors que des dizaines de librairies ont disparu et que des dizaines d'autres sont à bout de souffle? Or, ce phénomène réduit l'offre de livres de manière considérable.

- Pourquoi le rapport du gouvernement ne fait-il pas état des effets positifs du prix unique du livre en France? Il est vrai que la francophonie n'a jamais beaucoup intéressé la Berne fédérale...

- Comment le Conseil fédéral peut-il prétendre qu'une réglementation du prix du livre pourrait ne pas être euro-compatible, alors que huit pays de l'Union européenne (Autriche, France, Allemagne, Grèce, Italie, Portugal, Espagne et

Pays-Bas) connaissent un régime de prix fixe? Une affirmation qui montre bien que l'argument européen est parfois utilisé de manière excessive, surtout par ceux qui, d'habitude, ne veulent pas entendre parler d'intégration européenne!

Parmi d'autres, ces quelques éléments montrent que l'argumentation du Conseil fédéral repose sur des bases purement idéologiques, et que la défense du livre n'est pas le souci premier de notre gouvernement, ce qui est assez attristant. Mais l'essentiel, c'est que ce projet a passé la rampe du Conseil national. Il reste encore à convaincre le Conseil des Etats. Etant donné que lors de la procédure de consultation, la majorité des cantons ont approuvé l'idée d'une réglementation du prix du livre, tous les espoirs sont permis.