Tribune
La vraie question, c’est pourquoi l’Europe et quelle Europe ?

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), vice-président de l’USS

C’est la « trouvaille » de l’été. Pour sortir la Suisse de son isolement, pour trouver une solution médiane entre la voie bilatérale, que les Européens apprécient de moins en moins, et l’adhésion à l’Union européenne (UE), dont la majorité du peuple suisse ne veut pas pour l’instant, certains milieux politiques ont relancé l’idée d’une intégration de la Suisse à l’Espace économique européen (EEE).

Sortir du dilemme …
Le 6 décembre 1992, un « dimanche noir » selon Jean-Pascal Delamuraz, le peuple suisse avait pourtant rejeté l’adhésion de notre pays à l’EEE, ce projet n’étant soutenu que par la Suisse romande et les deux Bâle. Pourquoi ressortir cette idée du tiroir ? Le problème, c’est que l’UE, et plus particulièrement ses nouveaux Etats membres d’Europe centrale et orientale, n’est plus disposée à tailler des solutions sur mesure pour la Suisse, celle-ci retirant essentiellement des avantages des accords bilatéraux, sans devoir assumer les devoirs d’une intégration européenne plus poussée.

Apparemment, l’EEE est une bonne formule pour sortir du dilemme « voie bilatérale ou intégration », puisque cet espace, qui comprend l’UE, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, favoriserait une plus forte insertion de la Suisse au grand marché européen et une reprise automatique du droit européen, sans participation à une Union qui est aussi un bloc politique.

… en se faisant harakiri ?
D’un point de vue comptable, la participation de la Suisse à l’EEE représenterait un « plus » en matière de politique européenne. Mais cet argument ne tient pas compte d’un point essentiel. A savoir qu’avec l’EEE comme avec les accords bilatéraux, la Suisse n’aurait rien à dire dans l’élaboration de la politique européenne et du droit communautaire, alors qu’elle serait plus intégrée qu’aujourd’hui ! La Suisse renoncerait une nouvelle fois à sa souveraineté, en se faisant en quelque sorte harakiri.

Relancer l’Europe sociale
que cela plaise ou non, seule une adhésion pleine et entière à l’Union européenne permettra de résoudre la quadrature du cercle. Cette affirmation n’est cependant pas suffisante, car elle ne répond pas à une interrogation centrale : Pourquoi l’Europe et quelle Europe voulons-nous ?

Historiquement, la Communauté européenne, ancêtre de l’UE, s’est construite sur deux piliers, la volonté d’en finir avec les guerres qui avaient ravagé le continent, et la nécessité de mettre en place une économie forte, capable de tenir tête aux Américains. Progressivement, l’UE est aussi devenue un espace politique et social. Ce dernier volet s’est surtout développé sous la présidence de Jacques Delors, pendant laquelle d’importants progrès ont été accomplis : congé maternité, formation professionnelle, protection contre les licenciements, etc. Depuis, les choses se sont gâtées : absence de politique économique coordonnée ; remise en cause du « modèle nordique » de relations sociales ; restriction du droit de grève dans la lutte contre le dumping social, remise en cause du principe « A travail égal, salaire égal au même endroit » ; dénonciation des mesures légales de protection contre la sous-enchère salariale ; absence de politique fiscale commune qui conduit, par exemple, à une perte de 40 milliards d’euros par année pour la France.

Autant dire que les travailleurs, en Suisse comme dans l’UE, ne pourront croire à la nécessité d’une Europe forte que si l’on assiste à un revirement de l’Union en matière de politique économique et sociale, et que si l’on apporte la preuve qu’une politique d’ouverture n’est pas synonyme de dumping social. C’est cela le vrai débat et c’est à la réalisation de cet objectif que s’emploie la gauche politique et syndicale. Dans une tribune publiée dans « Le Monde », Martine Aubry, première secrétaire du PS français, et Sigmar Gabriel, président du SPD allemand, ont d’ailleurs souligné qu’il appartient aux socialistes « de proposer aux Européens une alternative progressiste à la stagnation et à la régression mises en œuvre par les droites européennes ». Une alternative qui implique l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, la fin de la concurrence fiscale et sociale, un seuil minimum d’imposition pour l’impôt sur les sociétés, la définition d’un salaire minimum pour chaque Etat membre et la fixation d’objectifs quantifiés pour les dépenses d’éducation.