Ce que
Jean-Claude Rennwald a vraiment dit avant l’élection de Doris Leuthard
au Conseil fédéral. Intervention complète de Jean-Claude Rennwald le 14
juin 2006 devant l’Assemblée fédérale
Je
tiens tout d'abord à souligner que je m'exprime ici à titre personnel,
et même très personnel. Et s'il est vrai qu'il est parfois tabou qu'un
membre d'un grand groupe s'exprime à titre personnel dans ces
circonstances, je considère qu'il convient parfois de briser la loi du
silence - pour ne pas dire de l'omerta.
Voici une semaine, j'étais là, à cette tribune, avec une délégation de
syndicalistes algériens et avec quelques collègues. Des syndicalistes,
des vrais, qui sont indépendants du régime et qui se battent très
durement, chaque jour, contre la répression menée par le régime de
Bouteflika. Evidemment, avec ces collègues algériens, nous avons discuté
des heures et des heures sur le système économique et social suisse, et
bien sûr sur notre système politique. Et je dois vous dire que ce qui
les a le plus étonnés, dans nos explications, c'est au moment où nous
leur avons expliqué que l'élection d'aujourd'hui était jouée d'avance ou
quasi jouée d'avance. Venant, eux, d'un régime militaire dictatorial,
ils ne pouvaient pas comprendre cela. (Brouhaha) Et nous leur avons
longuement expliqué le pourquoi de la chose, que les pays ont des
coutumes et des traditions politiques différentes.
Et si je rappelle cela, c'est que je respecte ces traditions et ces
coutumes et que je ne conteste pas, du moins ce matin, le fait que le
siège vacant revienne au PDC. On peut tout de même se demander si le
fait de ne pas contester le siège du PDC nous autorise à pratiquer ce
que j'appelle le non-débat, la non-discussion. Et il est vrai que ces
derniers temps il n'y a pas eu beaucoup de discussions!
J'aimerais dire en toute sincérité - et parce qu'on sait que je suis
quelqu'un de transparent - que trois éléments me rendent difficile le
fait de porter le nom de Madame Leuthard sur mon bulletin.
Le premier, Madame, c'est qu'on vous a présentée comme une grande star
de la politique. Je ne conteste ni votre formation ni votre expérience,
mais je dois aussi vous dire qu'au sein de la Commission de l'économie
et des redevances, où nous siégeons tous deux, j'ai côtoyé de plus
grandes stars de la démocratie-chrétienne, en particulier le regretté
Jean-Philippe Maitre, Eugen David et Lucrezia Meier-Schatz, tous gens
avec lesquels nous pouvions de temps à autre parvenir à un compromis.
Je dois vous dire aussi, Madame, et c'est le deuxième élément, que ces
derniers mois et ces dernières semaines, j'ai été étonné - pour ne pas
dire stupéfait - par votre manque de courage. Parce que ces derniers
mois et ces dernières semaines, surtout lorsqu'il y a eu des votes
importants ou cruciaux qui pouvaient mettre en danger votre élection,
pour l'essentiel ou bien vous vous êtes abstenue, ou bien vous avez
quitté la salle. Je dois vous dire que j'attends quand même un peu plus
de force de conviction de la part d'une femme d'Etat, quel que soit son
parti politique!
C'est vrai aussi qu'il n'y a pas eu beaucoup de débat, y compris dans
les médias. On sait presque tout sur vous, sur votre cuisine, sur vos
habits et surtout sur vos 40 paires de souliers. Il y a même un de vos
collègues qui a dit: "C'est normal, en Suisse, tout le monde a 40 paires
de souliers!" Eh bien, moi, je dis à ce collègue qu'un de ces jours, il
peut m'accompagner à Reconvilier, à Swissmetal Boillat, et demander aux
travailleurs de cette usine s'ils ont les moyens de se payer 40 paires
de souliers!
C'est vrai également que les papiers analytiques ont été assez pauvres
dans la presse. Il y en a eu tout de même quelques bons, en particulier
voici dix jours dans la "NZZ am Sonntag". Et qu'est-ce que cette analyse
a montré? Elle a d'abord montré que, sur tous les grands sujets
financiers, économiques et fiscaux, vous étiez alignée, ou quasiment
alignée sur les positions du grand patronat. Elle a ensuite montré que
vous êtes opposée à l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne, ce qui
va de pair avec la remarque précédente, vu que le grand patronat est
opposé à cette adhésion. Elle a enfin montré que vous étiez ouverte,
mais de façon limitée, sur les thèmes sociaux.
Un point que j'aimerais mettre en évidence mais qui me fait mal, c'est
que, en tant que présidente d'un parti chrétien, vous vous êtes
agenouillée devant l'UDC pour mettre sur pied avec elle une loi sur
l'asile et une loi sur les étrangers iniques qui confinent à la
xénophobie et au racisme d'Etat. Je tiens à souligner ici qu'il y a des
sages chez vous, à Genève et dans le Jura, qui se battent avec nous
contre ces deux lois.
Dernière remarque, lors de votre audition par le groupe socialiste, l'un
de mes collègues vous a demandé: "Que pensez-vous d'un sujet qui sera
abordé demain matin, à savoir l'abaissement de l'âge de protection
inscrit dans la loi sur le travail pour les jeunes et les apprentis?" Et
en résumé, vous avez répondu: "Ce sujet n'est pas important."
Alors malgré tout ce que j'ai dit jusqu'ici, je suis prêt à revoir ma
position et à inscrire votre nom sur mon bulletin si, dans les minutes
qui viennent, vous faites une déclaration devant la représentation
nationale selon laquelle vous convaincrez la majorité de votre groupe de
combattre l'abaissement de l'âge de protection des jeunes travailleurs,
et, comme cela, vous serez très bien vue par la jeunesse de ce pays
Jean-Claude
Rennwald
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