Tribune

Programme de législature : du réel à l’idéal

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), secrétaire central Unia

A première vue, on ne peut qu’être séduit par les objectifs du programme de législature 2011-2015 du gouvernement jurassien. Qui, en effet, pourrait s’opposer à l’augmentation du pouvoir d’achat, à des voies de communication performantes, à un savoir-faire industriel pointu, ou à la mise en place de projets novateurs ? Mais les moyens proposés pour atteindre ces objectifs ne sont pas toujours pertinents, notamment dans les domaines de la fiscalité et des rapports sociaux.

Illusions
« Toutes les statistiques fiscales sont aujourd’hui défavorables au Jura », écrit le gouvernement. Certes, mais il oublie deux éléments. La fiscalité ne constitue qu’un facteur, parmi une quinzaine d’autres (qualité de la main-d’œuvre, infrastructures, prix des terrains, etc.) qui incite une entreprise à s’implanter ici plutôt que là. S’agissant des personnes physiques, lorsque l’on opère des comparaisons non plus en termes fiscaux mais selon le revenu disponible (ce qui reste après les dépenses obligatoires), le Jura est plutôt bien placé.

Plusieurs propositions fiscales du gouvernement sont choquantes : l’allègement de l’impôt sur la fortune au moyen d’un tarif à taux unique (on est proche du reaganisme et du thatchérisme), ainsi qu’un allègement important de l’impôt sur le bénéfice et de l’impôt sur le capital des personnes morales. Cette dernière mesure est inspirée par l’exemple neuchâtelois. Or, les deux réalités sont différentes. Si Neuchâtel peut miser sur une augmentation des rentrées fiscales suite à une diminution du taux d’imposition des entreprises, c’est parce qu’un très grand nombre d’entreprises installées sur son territoire ne payaient pas d’impôts, du fait d’un recours massif à l’arrêté Bonny, et qu’elles seront désormais au moins imposées à un taux bas. Cet exercice ne peut pas être reproduit dans le Jura, où l’arrêté Bonny a été nettement moins utilisé.

Pari trop risqué
La réforme fiscale entraînera des pertes de recettes de 25 à 37 millions par année, durant 5 à 7 ans, alors que la dette passera de 250 millions aujourd’hui à 300 millions en 2016. Si le gouvernement accepte cette augmentation de l’endettement, c’est parce qu’il veut que la baisse fiscale soit mise en œuvre « sans réduire les prestations de l’Etat », ce que l’on doit saluer. A cet effet, il est disposé à suspendre le frein à l’endettement, qu’il assimilait pourtant jusqu’ici à la Bible ! Nous avons toujours combattu la rigidité de ce frein. Toutefois, ces affirmations ont l’allure d’un pari trop risqué, car si l’arrivée d’un nombre important de nouveaux contribuables et d’entreprises ne se réalisait pas, alors les prestations de l’Etat diminueraient inexorablement. Et nous n’avons pas pour habitude de jouer avec les citoyens-contribuables, d’autant plus que pour compenser une baisse de 10 % de ses impôts directs, il lui faudrait 10 % de population supplémentaire, soit 7'000 habitants à gagner en huit ans !

Successions, harmonisation et caisse unique
Toutes les propositions du gouvernement au chapitre de l’impôt sur le revenu ne sont pas dénuées d’intérêt. Le problème, c’est que ce paquet mise en bonne partie sur des déductions, et que celles-ci ne sont pas le meilleur moyen de favoriser la justice fiscale. Comme solutions alternatives, dans le but de promouvoir la redistribution sociale et le pouvoir d’achat, on pourrait imaginer :

• Un renforcement de la lutte contre la fraude.

• Une forte imposition des successions supérieures à 2 millions de francs, l’héritage étant l’un des principaux moyens de perpétuer les inégalités.

• La prise en compte de la proposition du PS jurassien en faveur d’une caisse maladie unique et sociale et une hausse des allocations familiales.

• Une offensive en vue de relancer l’harmonisation fiscale matérielle sur le plan fédéral, avec une marge de manœuvre de plus ou moins 10 % accordée aux cantons. Car la concurrence fiscale entre cantons ne peut conduire qu’à un affaiblissement majeur des collectivités publiques, qui serait avant tout préjudiciable aux catégories sociales modestes.

Bas salaires : renforcer le partenariat social
Nous avons pris bonne note que le gouvernement allait prendre des mesures contre les bas salaires. Nous avons toutefois quelques doutes lorsqu’il affirme que les très bas salaires sont pratiqués par une « petite minorité d’entreprises ». Pour prendre l’exemple de l’horlogerie, 70 % des entreprises sont signataires de la convention collective de travail (CCT) sur le plan national, avec des pointes de près de 100 % à Genève et proches de 90 % à la Vallée de Joux et à Neuchâtel. Or, dans le canton du Jura, cette proportion est inférieure à 50 %. Les patrons non signataires sont donc majoritaires, et ils ne sont pas tenus de respecter les normes salariales conventionnelles. On espère donc que le gouvernement collaborera plus intensément avec les partenaires sociaux pour amener ces entreprises dissidentes dans le giron conventionnel. Comme disait Jean Jaurès, « il faut partir du réel pour aller à l’idéal ».