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Répression et sélection ou les deux mamelles de la politique suisse à l’égard des immigrés, des réfugiés, des demandeurs d’asile et des sans papiers

Discours prononcé le 28 juin 2003 aux Breuleux lors de la fête de solidarité avec une famille algérienne

Chers collègues, Chers camarades, Chers amis,

Depuis 1999, une famille algérienne installée aux Breuleux et parfaitement intégrée à cette localité des Franches-Montagnes (Canton du Jura) vit dans l’incertitude quant à son avenir : Peut-elle rester en Suisse ou sera-t-elle expulsée vers l’Algérie, pays où la guerre civile se poursuit, avec son lot de victimes quasi quotidien ?

La torpeur estivale favorisant parfois le règlement de situations politiquement délicates, le groupe de soutien à la famille Berkellil a voulu rappeler au monde politique sa détermination à voir la situation de cette famille régularisée et toute mesure d’exception bloquée.

Avec la collaboration de Visarte-Jura et plus particulièrement de quatorze artistes jurassiens, rejoints par un groupe d’élèves de l’école secondaire des Breuleux, ce groupe a créé un symbole lumineux baptisé « Une conscience dans la nuit », lequel a été érigé dans le village des Breuleux avec l’appui des autorités communales.

La soirée d’inauguration de cette œuvre s’est déroulé le samedi 28 juin à l’école des Breuleux. A cette occasion, Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU) a prononcé un discours dont on lira le texte intégral ci-dessous.

«J’ai un ami qui est xénophobe. Il déteste à tel point les étrangers que lorsqu’il va à l’étranger, il ne peut pas se supporter».

Raymond Devos

Comme beaucoup d’autres, le cas de la famille algérienne des Breuleux est révélateur de la politique que la Suisse mène depuis des décennies à l’égard des immigrés, des réfugiés, des demandeurs d’asile ou encore des sans papiers. Et cette politique repose sur deux principes, la répression et la sélection.

Comme le rappelle l’historien Marc Perrenoud[1], il n’en a pas toujours été ainsi, car jusqu’à la Première Guerre mondiale, la Suisse a plutôt mené une politique ouverte dans ce domaine. Les choses commencent de changer en 1917, lorsque la libre circulation des personnes est remise en cause et que le contrôle des populations non suisses implique la création de l’Office central des étrangers. A partir de 1919, cet office sera dirigé par Heinrich Rothmund, un personnage central de la politique face aux réfugiés dans les années trente et quarante.

Un autre changement important intervient en 1931, avec la loi sur l’établissement et le séjour des étrangers, loi qui introduit une notion comme l’Überfremdung – c’est-à-dire la surpopulation étrangère - notion qui sera utilisée pour élaborer une politique restrictive face aux réfugiés dans les décennies qui suivent. Cette politique trouvera aussi une confirmation en 1933, lorsque le Conseil fédéral décrétera que les Juifs ne sont pas des réfugiés politiques et que les raisons qui les ont fait fuir l’Allemagne ne sont pas suffisantes pour leur accorder le statut de réfugiés politiques. N’oublions pas, n’oublions jamais qu’il en ira ainsi jusqu’en 1944 !

Plus tard, cette politique de répression et de sélection s’exprimera à travers toute la politique des contingents et des différentes catégories de permis mis en place par les autorités fédérales : permis d’établissement (C) permis annuel (B), permis frontalier (F), et bien sûr l’innommable permis saisonnier (A). Dans une certaine mesure, cette politique a été une réponse aux différentes initiatives xénophobes lancées et déposées dès la fin des années soixante.

Une autre preuve de cette politique de répression et de sélection réside dans le fait que quelle que soit l’ampleur des demandes d’asile déposées en l’espace d’une année, la Suisse en accepte grosso modo le même nombre chaque année. De plus, ces demandeurs d’asile ne sont pas très nombreux, puisqu’ils ne représentent que les 6,5% de la population étrangère en Suisse, et le 1,4% de la population suisse dans son ensemble. Et parmi eux, vous le savez, bien peu seront définitivement accueillis en Suisse

Une autre forme de sélection, c’est le fait qu’on accueille plus volontiers les demandeurs d’asile et les réfugiés de certains pays que ceux venant d’autres pays :

· La Suisse a ainsi largement ouvert ses portes aux réfugiés de Hongrie en 1956, aux réfugiés de Tchécoslovaquie en 1968 ou au boat people dans les années septante et quatre-vingts. Tous ces réfugiés venaient de pays communistes.

· La Suisse a en revanche été beaucoup plus restrictive avec les demandeurs d’asile d’autres pays, en particulier avec ceux qui fuyaient des régimes dictatoriaux de droite. En 1973, par exemple, la Suisse a accepté très peu de réfugiés chiliens qui fuyaient la dictature de Pinochet suite au coup d’Etat qui avait renversé Salvador Allende. Je m’en souviens comme si c’était hier, car c’est dans les comités Chili de l’époque que j’ai fait mes premières armes politiques.

Cette politique répressive et sélective est aussi au cœur du projet de nouvelle loi sur les étrangers qui va bientôt être discutée par le Parlement. A ce propos, il n’est pas inutile de rappeler que la définition du mot « étrangers » a une histoire, qu’elle évolue selon les époques.

L’étranger, l’étrangère a d’abord été la personne qui n’est pas née dans le village. Même si elle vient du village d’à côté, elle ne dispose d’aucun droit. Ceux-ci sont réservés aux bourgeois, c’est-à-dire à ceux qui habitent leur lieu d’origine. Puis, au fur et à mesure de la création de la Suisse, l’étranger a été du canton voisin jusqu’au milieu du XIXe siècle, avant d’être aujourd’hui d’un autre pays. Demain, ce sera peut-être le non-Européen, puisque le projet de nouvelle loi sur les étrangers introduit précisément une discrimination entre les Européens et les ressortissants extra-communautaires.

Cette politique est quasiment identique à la politique officielle de l’Europe, laquelle abat les obstacles à l’intérieur de ses frontières, mais s’érige en forteresse envers celles et ceux qui n’en font pas partie. Elle protège ses frontières extérieures à grand renfort de barbelés, caméras détectant la chaleur de tout corps humain en mouvement et survols continuels en hélicoptère.

Parmi les extra-communautaires, il n’y a que les personnes hautement qualifiées qui sont acceptées sur le marché du travail helvétique. Aller se servir ainsi de spécialistes à l’étranger pose notamment deux questions :

-        Une question de justice sociale : pourquoi un informaticien indien aurait-il plus de droits à s’établir en Suisse qu’un maçon colombien ?

-        Une question de développement : ouvrir les portes de la Suisse aux spécialistes des pays en développement revient à priver ces derniers de forces vives dont ils ont grand besoin pour assurer leur propre développement.

Enfin, cette politique de répression et de sélection est aussi à l’origine du refus des autorités fédérales de régulariser les sans papiers, alors que seule une telle régularisation, collective, serait de nature à diminuer sensiblement le nombre des travailleurs clandestins et le travail au noir. Quelle hypocrisie !

Tous ces constats me font dire que la Suisse n’est pas la terre d’accueil dont on vante souvent les mérites. Certes, il y a 20% d’étrangers au sein de la population helvétique, et c’est un taux élevé si on le compare avec celui de nos voisins européens. Mais cela ne signifie pas que la Suisse est une terre d’accueil plus généreuse que les autres. Si la population étrangère est importante en Suisse, c’est qu’il leur est difficile de sortir de leur statut. La moitié des étrangers vivant en Suisse y sont nés ou y vivent depuis 15 ans au moins, pourtant ils restent traités d’étrangers dans les statistiques. Si tous les étrangers vivant dans ce pays depuis plus de 10 ans étaient naturalisés, ce qui est le cas dans bien des pays européens, la Suisse compterait moins de 10% d’étrangers.

Il importe aussi de rappeler, haut et fort, qu’on ne quitte pas son pays par plaisir, mais par désespoir. Rompre avec sa famille, sa culture, ses racines, ses amis et partir pour un pays dont on ne sait presque rien, pas même la langue, n’est pas une décision que l’on prend à la légère. Une demande d’asile en Suisse correspond à une situation désespérée dans le pays d’origine. Le record des demandes d’asile en Suisse a eu lieu en 1999. L’ex-Yougoslavie est alors ravagée par la guerre. Les images que nous avons vues de ces conflits, les témoignages que nous avons entendus, ne peuvent que nous laisser entrevoir le drame des populations concernées et leur motivation à fuir leur pays.

C’est également en réponse à des situations désespérées que des hommes, femmes et enfants s’entassent sur des bateaux au risque de leur vie. Un risque qu’ils estiment valoir la peine de courir quand ils le mesurent à l’espoir d’une vie meilleure. Le récent naufrage au large des côtes tunisiennes d’un bateau transportant 250 personnes depuis la Libye en témoigne. 41 personnes ont survécu. Les 209 autres sont mortes noyées.

Et ceux qui profitent de ces situations méritent de lourdes peines. Cela concerne les passeurs avides dans les pays d’origine et de transit, les employeurs sans scrupules dans les pays d’arrivée, les trafiquants de drogue qui mettent le grappin sur ces êtres désœuvrés et manipulables à leur arrivée dans un pays inconnu.

Pour en venir à l’attitude de la Suisse à l’égard de l’Algérie et de ceux qui sont menacés dans ces pays, force est de constater qu’il y a deux poids et deux mesures. En effet, selon le droit suisse et les conventions internationales, il est interdit de renvoyer quelqu’un dans un pays où il serait mis en danger, menacé. Les autorités fédérales veulent renvoyer en Algérie une famille bien intégrée dans notre pays. Selon elles, cette famille ne risque rien à retourner en Algérie. Or, dans le même temps, le Département fédéral des Affaires étrangères déconseille vivement aux Suisses et Suissesses de se rendre en Algérie. Le tableau qu’il dresse de ce pays donne froid dans le dos :

«Des actes terroristes continuent à être perpétrés dans diverses régions du pays. Les désordres survenus en Kabylie, région située à l'est d'Alger, depuis avril 2001 ont fait de nombreuses victimes et causé d'importants dégâts matériels. Dans le contexte de ces désordres, de grandes manifestations se sont également déroulées à Alger, qui ont parfois donné lieu à des violences.

Les personnes qui sont obligées de se rendre en Algérie pour voyage d'affaires ou d'autres motifs devraient (…) réduire au minimum la durée du séjour (…). Il est recommandé de descendre dans un des hôtels cinq étoiles d'Alger, qui sont tous dotés d'un bon dispositif de sécurité».

Evidemment que la famille algérienne des Breuleux va descendre dans un cinq étoiles…

Un spécialiste de l’Algérie[2] résumait récemment la situation de ce pays par «Silence, on tue !». En quelque 10 ans de guerre civile, des centaines d’Algériens et d’Algériennes sont tombés sous les coups des islamistes ou des militaires. Il faut aussi dire que l’Algérie s’est enfoncée dans une terrible impasse économique et sociale : chômage massif (environ 30%), revenus en chute libre, explosion de la pauvreté, crise du logement, services publics déficients, etc.

Par rapport à la politique très négative que la Suisse adopte face aux immigrés et aux demandeurs d’asile, je vois tout de même quelques signes d’espoir :

 · De 1970 à nos jours, toutes les initiatives xénophobes et anti-réfugiés ont été rejetées, même si nous avons eu très chaud la dernière fois, avec la dernière initiative sur l’asile soumise au vote du peuple et des cantons.

· L’accord sur la libre circulation des personnes conclu entre la Suisse et l’Union européenne a permis de supprimer le statut du saisonnier, malheureusement pour les seuls ressortissants de l’Union.

· De façon lente mais continue, les droits politiques des étrangers commencent à se développer. Le Jura et Neuchâtel ont été des pionniers dans ce domaine. Ils ont été suivis par Appenzell Rhodes extérieures et par le Canton de Vaud, alors que Fribourg devrait aussi bientôt suivre.

· Le dernier signe d’espoir, ce sont tous les gens qui sont ici ce soir et tous ceux qui, ici et ailleurs, travaillent dans les mouvements de soutien aux immigrés, aux demandeurs d’asile et aux sans papiers.

Dans beaucoup de problèmes de ce type, en effet, nous ne sommes malheureusement pas en mesure de réunir des majorités politiques. Il est donc essentiel que le mouvement de soutien à la famille Berkelli se poursuive, comme doivent se poursuivre tous les mouvements qui agissent sur le terrain, même s’il faut parfois bousculer l’ordre établi.

Ici, cette démarche me paraît d’autant plus légitime que sur ces thèmes de l’immigration et de l’asile, les Jurassiennes et les Jurassiens ont toujours manifesté un plus grand degré d’ouverture que la moyenne des Suisses.

En France, Nicolas Sarkozy est sur le point de faire voter une loi qui prévoit l’aggravation des sanctions contre les personnes ou associations qui viendraient en aide aux sans papiers. Pour contrer ce projet, plus de 2'000 personnes ont déjà signé un « manifeste des délinquants de la solidarité », manifeste qui dit notamment ceci : « Nous déclarons avoir aidé les étrangers en situation irrégulière. Nous déclarons avoir la ferme volonté de continuer à le faire. Si la solidarité est un délit, je demande à être poursuivi pour ce délit. »

Et bien, voilà une idée que nous pourrions aussi développer en Suisse et dans le Jura, car dans certaines circonstances, une valeur aussi essentielle que la solidarité ne peut être défendue que par des gens qui sont d’accord d’être des rebelles. Et ceci d’autant plus que comme le dit la chanson écrite pour le 700e anniversaire de la ville de Delémont : « Nous avons besoin des rebelles pour briser l’ordre et son ennui. »


[1] Marc Perrenoud, Les grandes étapes de la politique à l’égard des réfugiés et les réactions du mouvement ouvrier, in : Marc Vuilleumier et Charles Heimberg (éd.), L’autre Suisse : 1933-1945, Les cahiers de l’UOG, N0 2, Editions d’en bas, 2003.

[2] Mohammed Harbi, «Et la violence vint à l’Algérie», in Le Monde diplomatique, juillet 2002.

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Jean-Claude Rennwald - conseiller national
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E-mail : rennwald@bluewin.ch - Internet : http://www.rennwald.ch
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