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Paru dans le quotidien Le Temps du 3 juin 2004

Essai:
Des élections régionales françaises au triple non
du 16 mai


Le retour des classes populaires et de l’alliance entre prolos et bobos

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), vice-président de l’USS, politologue

Les élections régionales françaises du mois de mars et le triple non helvétique du 16 mai au paquet fiscal, à la 11e révision de l’AVS et à l’augmentation de la TVA en faveur de l’AVS et de l’AI présentent trois caractéristiques communes :

• Une augmentation de la participation par rapport aux précédents scrutins du même type.

• Le retour des catégories populaires à un vote de gauche et en faveur des mots d’ordre des forces progressistes (syndicats, partis de gauche, mouvements associatifs).

• La (re)naissance d’une alliance entre les classes populaires - les prolos - et une partie importante de la nouvelle classe moyenne - les bobos (bourgeois bohèmes branchés) - qui, ensemble, constituent la majorité de la population. 

France : du jamais vu depuis 1981 

A l’occasion du second tour des élections régionales, le 28 mars dernier, la gauche française a récolté plus de 50 % des voix, un niveau qu’elle n’avait plus atteint depuis le premier tour des législatives de 1981. Pour Louis Maurin, observateur averti de la vie politique française, ce succès tient pour une bonne part au fait qu’une partie des couches populaires et moyennes se sont déplacées vers la gauche (Alternatives économiques, mai 2004). Au premier tour de l’élection présidentielle de 2002, 30 % des ouvriers seulement avaient voté pour un candidat de gauche, soit à peine plus que pour l’extrême droite. Lionel Jospin n’avait recueilli que 11 % du vote ouvrier, contre 24 % à Jean-Marie Le Pen. En 2004, un sondage de la SOFRES montre que la moitié des ouvriers ont voté pour les listes de gauche. A cette occasion, certaines composantes de la gauche, spécialement le PS, ont retrouvé une partie de l’électorat populaire qu’elles avaient quelque peu délaissé au profit de la nouvelle classe moyenne (ingénieurs, enseignants, travailleurs de la culture). C’est dire que depuis ce printemps, la gauche française et surtout le PS sont à nouveau l’expression de l'alliance nécessaire entre les classes populaires et la nouvelle classe moyenne.

Le niveau de participation aux élections régionales de 2004 (62 %) a progressé de 4 points par rapport à la même élection en 1998. Cela confirme la tendance selon laquelle le recul de l’abstention profite généralement à la gauche. Il convient toutefois de rester prudents à propos de cette évolution, comme le souligne Louis Maurin : « Le redressement de la participation en 2004 traduit probablement moins un changement durable de comportement que la force du mécontentement face à la politique du gouvernement. »

Suisse : l’arrogance ne paie pas

Cette dernière remarque s’applique parfaitement au scrutin fédéral du 16 mai. Le triple non sorti des urnes exprime d’abord un profond sentiment d’amertume d’une grande majorité des votants à l’égard de l’arrogance du Conseil fédéral et de la majorité bourgeoise du Parlement. En soumettant simultanément au peuple un paquet fiscal profitant essentiellement aux catégories les plus aisées et une 11e révision de l’AVS synonyme d’un démantèlement pur et simple de notre institution sociale la plus emblématique, ils ont eux-mêmes contribué à déclencher ce mouvement de rejet, qui a aussi emporté la hausse de la TVA. Un mouvement qui s’est traduit par un taux de participation élevé (pour la Suisse), de 50.3 %, soit 5 points de plus que lors du scrutin du 8 février, qui portait pourtant, lui aussi, sur des sujets sensibles (droit de bail, contreprojet Avanti, internement à vie des délinquants).

Le 16 mai, un vote de classe

Même si l’ampleur du refus fait qu’il dépasse le traditionnel clivage gauche-droite, le scrutin du 16 mai a malgré tout une profonde dimension de classe, que l’on peut mettre en exergue comme suit :

• Les deux cantons (Jura et Valais) qui ont le plus fortement rejeté le paquet fiscal font partie de ceux qui ont le revenu le plus bas par tête d’habitant. A l’inverse, le paquet fiscal n’a été accepté que dans trois districts alémaniques. Or, deux d’entre eux (Meilen, dans le canton de Zurich, appelé aussi la Côte dorée, et Höfe, dans le canton de Schwyz, où réside le financier Martin Ebner) comptent sur leur territoire une proportion de gens à haut revenu et de grosses fortunes nettement supérieure à la moyenne nationale.

• On peut faire un constat semblable avec la 11e révision de l’AVS. Sur les sept cantons qui l’ont repoussée le plus massivement, cinq (Jura, Valais, Neuchâtel, Fribourg et Tessin) sont des cantons à faible ou à moyenne capacité financière.

Une situation de pauvreté relative ne saurait à elle seule engendrer un comportement politique progressiste. Il faut aussi une volonté de modifier les rapports de force ainsi que des acteurs politiques et sociaux crédibles et porteurs d’une ambition de changement. De ce point de vue, la géographie électorale ne doit rien au hasard :

• Dans cinq (Neuchâtel, Jura, Genève, Bâle-Ville et Fribourg) des sept cantons qui ont le plus fortement repoussé la 11e révision de l’AVS, les forces de gauche ont réalisé, lors des dernières élections fédérales, un score supérieur à la moyenne nationale.

• Dans cinq (Neuchâtel, Jura, Genève, Bâle-Ville et Tessin) de ces sept cantons, le taux de syndicalisation, en terme d’appartenance à une fédération de l’Union syndicale suisse (USS), est supérieure à la moyenne helvétique. Et si l’on tient compte du poids des syndicats chrétiens, important en Valais et à Fribourg, ces deux cantons peuvent aussi être rangés dans cette catégorie.

Lutte des classes menée d’en haut 

Même si les cantons ont contribué à l’échec du paquet fiscal, les considérations qui précèdent montrent que le double échec de cette réforme fiscale et encore davantage de la 11e révision de l’AVS constitue une victoire historique de la gauche politique et syndicale, la plus importante depuis le refus de la loi sur le marché de l’électricité en 2002, voire depuis le rejet de la loi sur le travail (1996) et de la révision de la loi sur l’assurance chômage (1997). Ce succès tient au cumul de quatre phénomènes :

• L’arrogance des partis bourgeois et du patronat qui, en matière de fiscalité et d’AVS, ont pratiqué une véritable « lutte des classes menée d’en haut ».

• Le sursaut des classes populaires, qui n’ont pas mordu à l’hameçon du « moins d’impôt ».

• Le fait qu’une partie importante de la nouvelle classe moyenne a préféré s’allier aux catégories populaires parce qu’elle craignait, comme elles, non seulement un démantèlement de l’AVS, mais encore la forte régression des politiques publiques et des prestations sociales qu’aurait entraînée l’adoption du paquet fiscal.

• Enfin, une mobilisation et une présence des syndicats et de la gauche sur le terrain nettement plus importante qu’à l’accoutumée.

Ces constats confirment certaines conclusions de l’étude Select sur les élections fédérales de 2003, puisque celle-ci dément l’idée selon laquelle le PS serait devenu un parti plus élitaire. Elle indique au contraire que les personnes disposant d’un faible revenu soutiennent le PS un peu plus fortement que les couches aisées.

De la résistance à l’offensive 

Tout cela ne signifie pas que la gauche est désormais majoritaire en Suisse ! Ce qui est en revanche certain, c’est que le double rejet du paquet fiscal et de la 11e révision de l’AVS a été possible parce que la gauche a réussi à opérer une synthèse entre les aspirations des couches populaires et de la nouvelle classe moyenne. Une alliance qui est aussi en bonne partie à l’origine de la victoire de la gauche française aux dernières élections régionales.

A l’avenir, toute politique qui ne tiendra pas compte de cette donnée structurelle sera vouée à l’échec. C’est ce que ne comprennent ni Jean-Pierre Raffarin en France, ni la « bande des quatre » (Blocher, Schmid, Merz et Couchepin) - qui forme l’ossature d’un Conseil fédéral conforme aux vœux d’economiesuisse - puisque les uns et les autres mènent une politique qui, pour l’essentiel, vise à augmenter le capital économique et financier des nantis tout en sabordant l’Etat social qui lui concerne la majorité de la population. Cette attitude tranche singulièrement avec celle de Luca Cordero di Montezemolo, nouveau « patron des patrons » italiens, lequel estime que pour relever l’Italie, il convient de « refuser la logique du déclin, rechercher un compromis avec les syndicats et investir dans l’innovation » (Le Monde, 29 mai 2004).

En France comme en Suisse, les œillères du noyau dur du bloc au pouvoir constituent une chance historique pour la gauche politique et syndicale. Mais celle-ci se trouve du même coup investie d’une énorme responsabilité. A elle de ne pas galvauder ce capital, non seulement en continuant à faire de la résistance (ce qui est différent du conservatisme !), mais aussi en reprenant l’offensive et en lançant des propositions de réformes audacieuses et susceptibles d’être portées par une majorité.

Jean-Claude Rennwald

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Jean-Claude Rennwald - conseiller national
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E-mail : rennwald@bluewin.ch - Internet : http://www.rennwald.ch
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