Tribune
Salaire minimum national : les Suisses enthousiastes

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), secrétaire central Unia

Le moins que l’on puisse écrire, c’est que l’initiative lancée par l’Union syndicale suisse (USS) et par Unia en faveur de l’introduction d’un salaire minimum national fait un tabac. Moins de 6 mois après son lancement, l’initiative a été signée par plus de 80'000 citoyennes et citoyens. Mieux encore, et avec toutes les réserves qu’il faut mettre à l’égard d’un sondage d’opinion, une enquête de l’Institut Link montre que 85 % de la population suisse est favorable à l’introduction d’un salaire minimum légal pour résoudre le problème des salaires trop bas. De plus, la population semble vouloir aller plus loin que l’initiative, puisque le niveau moyen du salaire minimal souhaité atteint 4'487 francs, alors que les auteurs de l’initiative revendiquent un salaire minimal équivalent à 4'000 francs.

Jungle salariale
Le résultat intermédiaire de la récolte des signatures et cette enquête sont très encourageants, mais ils ne sont pas surprenants, et cela parce qu’une partie des travailleurs vivent aujourd’hui dans une véritable jungle salariale :

• Environ 60 % des travailleurs suisses ne sont pas protégés par un salaire minimum, du fait que la moitié des salariés de notre pays ne sont pas au bénéfice d’une  convention collective de travail (CCT) et que certaines CCT ne prévoient pas de tels minimas. Parfois, les minimas conventionnels sont même très bas.

• En Suisse, un salarié sur dix, soit 300'000 femmes et 100'000 hommes, touchent un salaire inférieur à 22 francs de l’heure.

• Dans certains cantons, en particulier le Jura, le Valais et le Tessin, des salaires inférieurs à 3'500 francs, et parfois même à 3'000 francs, sont le lot de nombreux travailleurs et travailleuses.

• Entre 1998 et 2008, les bas et les moyens salaires n’ont augmenté que de 0,2 à 0,4 % par an, alors que la productivité grimpait de 0,9 % en moyenne annuelle. En revanche, les hauts et les très hauts salaires ont profité de cette situation, puisque les écarts salariaux entre les dirigeants d’entreprises et les travailleurs se sont à nouveaux creusés.

• Le ras-le-bol de la population est aussi lié au dumping salarial engendré par la libre circulation des personnes. A Genève, alors que le salaire médian des frontaliers était inférieur de 10,7 % à celui des résidents en 2000, cet écart est passé à 16,3 % en 2008.

Patrons : mettez les bouchées doubles !
Nous avons toujours été favorable à ce que les questions salariales soient réglées par la voie des conventions collectives. Mais les quelques exemples données ci-dessus doivent inciter le patronat à mettre les bouchées doubles sur cette thématique et à prendre plus au sérieux la sous-enchère salariale liée à la libre circulation des personnes. Faut de quoi l’introduction d’un salaire minimum légal sera incontournable, alors que les accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne (UE) pourraient bien être en danger lors d’une prochaine votation populaire sur le sujet.

Une lutte européenne
La lutte pour des salaires dignes de ce nom n’est pas un problème suisse, mais européen, car la sous-enchère salariale se manifeste sur l’ensemble du continent. C’est pourquoi, face au dumping et aux atteintes aux droits des travailleurs, la Confédération européenne des syndicats (CES) mènera une campagne, ces prochaines années, qui aura pour titre : « L’égalité des salaires – L’égalité des droits ». Encore faut-il que la CES se donne les moyens de sa politique. On peut malheureusement en douter, puisque lors de son congrès du mois dernier à Athènes, la CES a reporté à plus tard l’examen de la proposition des syndicats suisses visant au lancement d’une initiative citoyenne européenne contre le dumping salarial. Or, le lancement d’une telle initiative (il faut 1 million de signatures) serait un moyen de mobiliser l’ensemble des travailleurs européens sur un objectif concret et de contrebalancer ainsi la tendance au repli national de beaucoup de syndicats européens.