Tribune
Coucou, revoilà le 1er mai

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), secrétaire central Unia

Comme chaque année, les travailleurs vont descendre dans la rue le 1er mai, à l’appel de leurs syndicats. Ces cortèges, ces manifs et ces slogans ont-ils encore un sens, alors que nous sommes au XXIe siècle et que le statut social de millions de personnes s’est amélioré de manière considérable ? Les milieux bourgeois répondent par la négative. L’histoire semble leur donner raison, puisque depuis une centaine d’années, mais encore plus depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le progrès social est indéniable : éradication de nombreuses maladies, augmentation de l’espérance de vie, logements convenables pour le plus grand nombre, développement de l’Etat social, etc. Mais comme disait l’éminent sociologue Pierre Bourdieu, il faut « se méfier du piège des apparences ».

En effet, depuis la fin des « Trente glorieuses » (1945 – 1975), l’évolution du monde et des rapports sociaux n’incite pas à un optimisme béat. Une grande partie des pays du Sud, en particulier ceux d’Afrique, connaissent une misère effroyable On n’a pas encore trouvé les moyens de lutter contre certaines maladies, le sida en premier lieu. Autour des grandes villes, la violence explose dans les banlieues, faute d’emplois. Dans les pays occidentaux aussi, les inégalités sociales s’accroissent. Louis Chauvet, un autre sociologue, estime qu’en France, la classe moyenne va considérablement « maigrir » ces trente prochaines années, alors que la part des plus riches et celle des plus pauvres vont exploser.

Dans ce contexte, la gauche politique, syndicale et associative doit relever au moins cinq défis :

• Combattre les inégalités. La réalisation de cet objectif passe par des salaires minimaux décents, en priorité par la voie des conventions collectives de travail (CCT), la loi ne devant intervenir qu’à titre subsidiaire. Le rythme très soutenu de la récolte des signatures pour l’initiative lancée par l’USS et Unia, montre qu’il existe un réel malaise. Et pour cause, aujourd’hui encore, plus de 400’000 personnes travaillent mais ne gagnent pas assez pour vivre. Il importe aussi de combattre plus efficacement le dumping social et salarial. Les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes constituent l’un des meilleurs moyens de lutte contre la haine anti-immigrés et anti-frontaliers distillée par l’UDC, la Lega et le Mouvement des citoyens genevois (MCG) et, à plus long terme, de convaincre les salariés de l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne (UE).

• Se former durant toute la vie. Comme une hirondelle, des salaires minimaux décents ne font pas le printemps à eux seuls. La position sociale d’un individu dépend largement de sa formation. C’est pourquoi il faut intensifier la formation continue et marcher en direction d’un système de formation durant toute la vie. Dans l’horlogerie, la part des non qualifiés a considérablement diminué en l’espace de quinze ans, au profit des travailleurs qualifiés. C’est que la majorité des employeurs ont compris cette nécessité, de même que le syndicat Unia, très actif dans ce domaine.

• Développer l’Etat social. La majorité de la droite et du patronat ne cessent de peindre le diable sur la muraille s’agissant de l’avenir des assurances sociales, sous prétexte du vieillissement de la population. Certes, le phénomène créera quelques problèmes sérieux ces prochaines décennies. Mais notre sécurité sociale est loin d’être au bord du gouffre, les comptes de l’AVS sont bons et les caisses de pension ont aujourd’hui un taux de couverture de 104 %. A moyen terme, il faut relever les rentes AVS de manière à ce que la prévoyance vieillesse garantisse le remplacement du revenu à hauteur de 80 % pour les revenus inférieurs à 5'000 francs et de 60 % pour les revenus supérieurs à 5'000 francs. Proposé par l’Union syndicale suisse (USS), ce modèle dit « AVSplus » favoriserait les catégories sociales modestes et moyennes. Il faudra aussi relancer l’idée d’introduire le droit à la retraite complète des 40 ans de cotisations, ce qui profiterait en premier lieu aux salariés qui exercent les métiers les plus pénibles.

• Défendre le Sud. Comme le montrent les révoltes d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, le monde n’est pas à l’abri d’explosions sociales et politiques douloureuses. Les rapports Nord – Sud doivent être rééquilibrés, ce qui suppose de faciliter l’accès des produits du Sud aux pays occidentaux et d’augmenter l’aide publique au développement. A court terme, la Suisse doit s’associer à un « Plan Marshall » européen en faveur de la zone arabo-africaine, seul moyen de favoriser des investissements, des emplois et la démocratie politique.

• Imaginer une croissance qualitative. Tout cela coûtera. C’est vrai et la mise en œuvre de ce « programme » passe par la croissance économique. Celle-ci doit être qualitative, comme le propose le secteur industriel d’Unia. Cela suppose des investissements massifs dans les énergies renouvelables et une sortie rapide du nucléaire, qui offre nettement moins d’emplois. De plus, depuis la catastrophe de Fukuyama, on sait que la mort de la planète ne peut plus être exclue.

Ce « programme est certes ambitieux, mais n’oublions pas qu’en 1886, lorsque les travailleurs américains se mobilisèrent pour obtenir la réduction de la durée du travail (c’est à cet événement que remonte l’origine du 1er mai), ils n’auraient jamais imaginé les progrès sociaux intervenus depuis. C’est en leur mémoire que nous irons manifester dans quelques jours.