Initiative populaire de l’Union syndicale suisse (USS) « pour
une durée du travail réduite »
Des
congés payés en 1936 à la semaine de 36 heures au XXIe siècle
Par
Jean-Claude Rennwald, vice-président de l’USS, membre du comité
directeur du syndicat FTMH, conseiller national (PS/JU), janvier 2002
Introduction
La
réduction de la durée du travail est une revendication fondamentale du
mouvement syndical. Par rapport à la durée du travail en vigueur à
l’ère préindustrielle, les syndicats ont engrangé d’importants
succès par leur politique de réduction du temps de travail. Si les
syndicats n’avaient pas mis la pression, on en serait toujours à la
semaine de 60 heures et les vacances payées seraient inconnues au
bataillon.
Pour
beaucoup d’historiens, le Front populaire, en 1936, a joué en France
– mais aussi dans d’autres pays, indirectement - un rôle central
dans la mise en place des congés payés et de la semaine de 40 heures.
Le Front populaire, c’est bien sûr un gouvernement dirigé par Léon
Blum et formé des principaux partis de gauche de l’époque. Mais
c’est aussi un immense mouvement social et syndical, des milliers
d’usines occupées, des millions de grévistes dans toute la France.
Au
XXIe siècle, le mouvement en faveur de la réduction du temps de
travail ne s’est pas arrêté.. Avec les lois Aubry, la France est
passée aux 35 heures, et malgré certaines difficultés
d’application, près des deux tiers des salariés qui en bénéficient
estiment que les 35 heures ont changé leur vie de manière positive.
Dans plusieurs autres pays d’Europe, le mouvement visant à réduire
la durée du travail est aussi en marche, que ce soit par la loi ou dans
le cadre des conventions collectives de travail (CCT). En Suisse, en
revanche, ce mouvement est bloqué depuis plusieurs années, mais le
mouvement syndical entend bien le remettre en marche.
Pourquoi
faut-il réduire le temps de travail et pourquoi l’USS a-t-elle lancé
son initiative ?
-
Dans
ce domaine comme dans d’autres, la Suisse est à la traîne. Alors
que la semaine de 40 heures a été introduite en 1967 dans la métallurgie
allemande, les horlogers et les métallos suisses ont du attendre la
fin des années quatre-vingts pour bénéficier des 40 heures.
-
La
Suisse connaît l’une des durées du travail les plus élevées
d’Europe (Tableau No 1). Alors que dans de nombreux autres pays,
la durée du travail oscille entre 35 et 40 heures par semaine, elle
est de 45 heures en Suisse sur le plan légal, et varie entre 40 et
42 heures dans la majorité des secteurs économiques au bénéfice
d’une convention collective ainsi que dans la fonction publique.
Seuls les Anglais travaillent plus que nous. Les Suisses sont en
quelque sorte les Coréens (2'685 heures par année) de l’Europe !
-
Autrement
dit, chaque semaine, les Suisses travaillent, en moyenne,
deux heures de plus que les autres Européens (ou 100 heures de plus
par année)
-
Les
Suisses ont aussi moins de congés (vacances et jours fériés) que
la plupart des autres Européens (Tableau No 2). Dans ce cas, seuls
les Irlandais sont moins gâtés que les Suisses.
-
La
durée conventionnelle ou légale du travail est systématiquement détournée
par une partie des employeurs au moyen d’un recours abusif aux
heures supplémentaires, ce que confirme le fait que leur volume ne
varie guère entre les périodes de haute conjoncture et celles de
difficultés économiques. Ces dernières années, les heures supplémentaires
ont connu une forte croissance (de 148 millions d’heures en 1996
à 163 millions en 1999, ce qui correspond en moyenne à 40 heures
supplémentaires par an et par personne occupée) et ne sont
indemnisées par une compensation salariale ou un temps libre que
dans deux tiers des cas. Cette moyenne n’est cependant pas très
significative, puisque certains travailleurs effectuent plusieurs
centaines d’heures supplémentaires par année.
-
Les
formes atypiques de travail et les formes de travail précaire
(travail de nuit, durant le week-end ou en soirée, travail sur
appel, travail temporaire) se sont fortement développées durant
les années nonante (vente, centres d’appel, banques, etc.). Les
femmes sont les premières victimes de cette « désagrégation »
des rythmes hebdomadaires.
-
L’augmentation
de la productivité va de pair avec une accélération croissante
des rythmes de travail et une densification du travail rémunéré,
phénomène qui a de multiples conséquences sur la santé physique
et psychique des travailleuses et des travailleurs. En 2000, le seco
a estimé à 4.2 milliards de francs le coût occasionné par le
stress en Suisse. La pression sur les délais accroît par ailleurs
le risque de maladies cardio-vasculaires. On sait aussi que 50 % des
transports par route sont provoqués par l’excès de fatigue.
-
A
contrario, la réduction du temps de travail accroît la motivation
et améliore la qualité du travail. En effet, la fatigue au travail
n’augmente pas linéairement à mesure que le temps passe, mais de
manière exponentielle. Cela signifie que la fatigue augmente plus
vite entre la septième et la huitième heure de travail qu’entre
la troisième et la quatrième.
-
Dans
le même esprit, une activité professionnelle de moindre durée et
des périodes de repos prolongées accroissent la motivation du
personnel.
-
Dans
plusieurs secteurs, l’augmentation de la productivité a été
importante. En raison des progrès technologiques et des nouvelles méthodes
d’organisation, le travail humain ne cesse de gagner en efficacité.
Dans l’industrie des machines, par exemple, 66'000 emplois sur un
total de 400'000 ont été supprimés entre 1990 et 1996, ce qui
veut dire un emploi sur six. Malgré cela, on produisait plus en
1996 qu’en 1990 !
-
En
Suisse, force est de constater que les travailleurs ont été oubliés
au moment de la redistribution des richesses engrangées grâce à
l’augmentation de la productivité ces dix dernières années.
Cette productivité macro-économique a augmenté de 14.4 % entre
1990 et 1999, mais le quart seulement, soit 3.8 %, a été restitué
aux salariés sous la forme d’une augmentation marginale des
salaries réels (+ 2.4 %) et d’une réduction encore plus modeste
du temps de travail (- 1.4 %).
-
De
manière plus fondamentale, nous sommes arrivés à un point de
rupture dans l’histoire économique des sociétés les plus avancées.
Durant très longtemps, l’industrie a absorbé la surpopulation
agricole. Dans un second temps, les services ont joué le même rôle
à l’égard de l’industrie. Mais cette époque semble
aujourd’hui révolue : Actuellement, le secteur tertiaire
n’a plus cette capacité d’absorption et de création
d’emplois.
-
De
nombreuses expériences, suisses et étrangères, récentes ou plus
anciennes, montrent que la réduction du temps de travail a des
effets positifs sur l’emploi (voir encore ci-dessous pour les détails).
-
L’emploi
n’est de loin pas le seul argument en faveur d’une réduction du
temps de travail. Il s’agit aussi d’améliorer la qualité de
vie des gens, en leur donnant plus de temps pour leurs loisirs, pour
se former personnellement et pour créer les conditions d’un véritable
partage des taches au sein du couple et de la famille (en Suisse, le
travail ménager et familial repose aux deux tiers sur les épaules
des femmes).
-
La
diminution du temps de travail permet aussi d’offrir plus de temps
aux gens pour penser et, pourquoi pas, pour militer sur les plans
syndical et politique. En 1889 déjà, Jean Jaurès avait
d’ailleurs saisi toute l’importance de la culture et de la
formation, en lançant : « Tout progrès vient de la pensée
et il convient d’abord de donner aux travailleurs le temps de
penser. »
-
Ces
quelques considérations montrent que pour le mouvement syndical, la
réduction de la durée du travail n’est pas une question
conjoncturelle, mais un projet de société.
-
Nous
avons besoin d’un grand débat national sur la question du temps
de travail. Seule l’initiative de l’USS permet ce débat.
-
Depuis
quinze ans, en effet, plus aucun progrès significatif n’a été réalisé
en matière de temps de travail dans le cadre des négociations
entre partenaires sociaux. Dans les arts graphiques, la dernière réduction
du temps de travail inscrite dans la CCT remonte à 1980, dans
l’industrie des machines et dans l’horlogerie à 1988, et dans
la chimie baloise à 1990.
-
Pour
reprendre l’exemple horloger de manière plus détaillée, il ne
s’est rien passé – et il ne se passera rien - en matière de réduction
du temps de travail de 1988 à 2006, soit pendant 18 ans, alors que
de 1956 à 1988, soit pendant 32 ans, le temps de travail a diminué
en moyenne d’une heure tous les quatre ans, avec le passage
progressif de la semaine de 48 heures à celle de 40 heures. Cet
exemple, que l’on peut retrouver dans de nombreuses branches,
montre qu’il y a un « mur patronal » à hauteur de 40
heures.
-
Des
normes très différentes se sont maintenues ou renforcées dans
certaines branches. D’une part, la semaine de 39 heures a été
introduite dans la convention collective des CFF. D’autre part,
les personnes occupées dans l’agriculture en sont encore à un
horaire hebdomadaire compris entre 49 et 66 heures, et les salariés
des entreprises de transport ont un horaire normal de 46 ou 48
heures.
-
Depuis
qu’il existe des données statistiques en Suisse – c’est-à-dire
depuis 1890 - la durée du travail n’a jamais diminué aussi peu
que durant les années nonante (réduction de 24 minutes par semaine
et par personne à plein temps entre 1990 et 1999, soit moins de 3
minutes par semaine et par année !)
-
Pour
toutes ces raisons, il convient d’engager la discussion de manière
plus large, d’autant plus que la moitié des salariés du secteur
privé ne sont pas au bénéfice d’une convention collective.
Evidemment, cela ne signifie pas que cette revendication sera
abandonnée dans le cadre des négociations en cours ou à venir
comme dans le bâtiment ou l’industrie des machines.
-
L’initiative
permet d’introduire des formes d’organisation du temps de
travail qui séduisent de plus en plus les travailleurs, car elles
offrent du vrai temps libre : semaine de 4 jours, journées de
réduction du temps de travail, vacances supplémentaires.
-
Le
chômage n’est certes plus aussi important qu’au moment du
lancement de l’initiative. Mais la conjoncture se détériore et
le chômage grimpe à nouveau. Entre juin et décembre 2001, le taux
de chômage est passé de 1.6 à 2.4 % (plus de 86'000 chômeurs),
soit une progression de près de 1 %. La barre des 100'000 chômeurs
sera probablement franchie ces prochains mois, et certains économistes
estiment qu’un taux de 3.5 % devrait être atteint durant l’année.
-
La
réduction du temps de travail, à défaut d’avoir un caractère
irréversible (elle n’est pas possible sans luttes) est un
mouvement séculaire. En France, par exemple, la durée annuelle
moyenne du travail a été divisée par trois en l’espace de 150
ans. Au total, on est passé de 5'000 heures de travail et plus par
année en 1850 à 3'200 heures autour de 1900 et à 1'650 heures au
début des années quatre-vingts (1’600 heures avec la loi Aubry
sur les 35 heures).
-
Mieux
encore, le temps de travail, rapporté à la durée totale du temps
éveillé, représentait 70 % du temps de vie en 1850, 43 % en 1900,
et seulement 18 % en 1980. Au début des années nonante, on était
même tombé à 14%.
Ce
que demande l’initiative de l’USS
L’initiative
de l’USS « pour une durée du travail réduite » contient
les revendications suivantes :
-
La
réduction progressive, étalée sur 8 ans environ, de la durée du
travail à 1872 heures par année. Soit la semaine de 36 heures en
moyenne avec plusieurs variantes, contre une moyenne de près de 42
heures (41.8) aujourd’hui.
-
Une
durée maximale de la semaine de travail de 48 heures, heures de
travail supplémentaires comprises. La durée maximale de 48 heures
par semaine correspond à la norme européenne, alors qu’en
Suisse, on peut aller aujourd’hui jusqu’à 66 heures par
semaine.
-
La
réduction du travail supplémentaire de 170 ou 140 heures selon les
cas à 100 heures par an, avec une compensation en temps libre, en règle
générale.
-
La
fixation d’une durée du travail usuelle pour chaque contrat de
travail. L’initiative proscrit ainsi le travail précaire du genre
travail sur appel.
-
La
suppression de toute discrimination du personnel à temps partiel,
notamment en ce qui concerne la sécurité sociale, les suppléments
pour heures supplémentaires et les possibilités d’avancement
professionnel.
-
Aucune
baisse de salaire consécutive à la réduction du temps de travail
jusqu’à un revenu de 7'600 francs par mois, environ, c’est-à-dire
aucune réduction de salaire pour les travailleurs dont le salaire
brut ne dépasse pas 150 % de la moyenne des salaires versés en
Suisse. Les salaires du personnel à temps partiel seront augmentés
proportionnellement.
-
Une
aide financière de la Confédération aux entreprises qui réduisent
le temps de travail plu s rapidement (de 10 % et plus par an) et créent
ainsi des emplois. Cela est spécialement important pour les petites
et moyennes entreprises (PME ) qui pratiquent de longs horaires.
Les
effets de la réduction du temps de travail sur l’emploi sont conséquents
-
La
croissance économique est le moteur de la création d’emplois.
Mais si elle se combine avec une réduction du temps de travail, la
croissance économique offre un emploi à un plus grand nombre de
personnes. De plus, le partage du travail permet aussi de maintenir
des emplois. Quelques exemples:
En
passant en 1994 à la semaine de 28.8 heures, Volkswagen a sauvé
20'000 emplois ;
-
En France (voir ci-dessous pour plus de détails), les lois Aubry
sur les 35 heures ont permis la création d’environ 400'000
emplois ;
-
En Suisse, le « Tagesanzeiger », en 1995/96, a pu sauver
25 postes grâce à une réduction linéaire du temps de travail de
10 %.
-
En 1997, les 720 conducteurs des Transports publics genevois (TPG)
ont obtenu le passage de la semaine de 40 à 38 heures. Cela a
permis l’engagement de 35 nouveaux conducteurs, dont 33 chômeurs.
-
Au début de l’année 1998, la filiale genevoise d’ABB-Sécheron
a réduit de 50 à 10 le nombre des licenciements prévus, avec une
réduction du temps de travail à 37 heures et une baisse moindre
des salaires, le coût étant partagé entre l’entreprise et les
employés.
-
En passant à la semaine de 39 heures, les CFF ont pu sauver 1'000
emplois
-
A Swisscom, une expérience plus limitée avait permis durant
l’année 2000 à 150 employés de diminuer le temps de travail
pour éviter le chômage à certains dès leurs. Concrètement, ils
avaient renoncé à 5 % de leur salaire pour travailler moins (36
heures au lieu de 41)
-
Pour sa part, La Poste a testé le partage du travail avec le système
«quatre salariés pour trois emplois ».(4 emplois à 75 % au
lieu de 3 emplois à 100%)
-
Voici
120 à 140 ans, on travaillait deux fois plus qu’à l’heure
actuelle, soit jusqu’à 80 heures par semaine. Si la durée du
travail n’avait pas été réduite de moitié, sur le long terme,
nous aurions aujourd’hui un taux de chômage de 50 % !
-
A
l’heure ou le chômage augmente à nouveau de manière importante
dans notre pays, ces quelques exemples méritent d’être médités,
d’autant plus que, de manière générale, la réduction du temps
de travail est créatrice d’emplois à hauteur de 50 %, les autres
50 % étant absorbés par les gains de productivité.
La
semaine de 4 jours, un modèle rendu possible par l’initiative de
l’USS
-
S’il est possible de faire des journées plus courtes dans
certaines professions, cela n’a pas de sens dans d’autres métiers..
Dans le secteur des services - publics et privés – il est
difficilement imaginable que tout le monde quitte les bureaux une
heure plus tôt et en même temps. La clientèle et les usagers
n’apprécieraient guère.
-
A réduction égale de la durée du travail,
l’effet sur l’emploi est plus important avec la semaine de 4 jours
qu’au moyen d’une diminution quotidienne de l’horaire.. Cela tient
surtout au fait que lorsqu’un emploi est libéré durant toute une
journée, l’entreprise est pratiquement dans l’obligation de
repourvoir le poste. A contrario, avec une semaine de 36 ou de 35 heures
sur cinq jours, la même entreprise hésitera beaucoup plus à embaucher
quelqu’un pour une heure par jour.
-
Il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la
semaine de 4 jours. Le passage de 6 à 5 jours de travail par semaine
date des années cinquante et soixante. Rien n’indique qu’un nouveau
saut n'est pas possible, d’autant plus que l’économie n’a pas
souffert de l’introduction du week-end, bien au contraire
-
La semaine de 4 jours offre plus de temps libre
effectif aux individus.
-
Plusieurs cas concrets, notamment en France,
montrent que la semaine de travail de 4 jours a eu des effets positifs
sur l’emploi :
o les effectifs du groupe Monique-Ranou, du groupe Intermarché, sont passés
de 315 à 385 salariés (+ 70 emplois) grâce à la réduction de la
semaine de travail de 39 à 32 heures, sur 4 jours ;
o la coopérative laitière Even a créé 120 emplois (de 800 à 920 salariés
grâce à la réduction de la durée hebdomadaire du travail de 38 à 32
heures, sur 4 jours ;
o le groupe d’assurances Prado a créé 83 emplois (de 550 à 633 salariés)
grâce au passage de la semaine de travail de 38h15 à 32h30, sur 4
jours ;
o enfin, les Ducs de Gascogne, spécialisés dans la vente de foie gras et
de produits du terroir, ont vu l’effectif de leur personnel passer de
80 à 94 salariés (+ 14 emplois), grâce au passage de 39 à 33 heures
par semaine, sur 4 jours.
-
Parmi les Suisses qui sont favorables à la réduction
du temps de travail, il existe une majorité pour la semaine de 4 jours.
-
A réduction égale du temps de travail, les
salariés de l’horlogerie membres du syndicat FTMH ont donné la
priorité à la semaine de 4 jours, devant une augmentation du droit aux
vacances et une réduction linéaire de l’horaire de travail.
-
D’autres modèles de ce genre sont aussi possibles :
-
La semaine de 41/2 jours combinée à une
augmentation du droit aux vacances.
- La semaine de 38 heures et 13.5 jours de congés
supplémentaires par année.
-
La semaine alternée de 4 et 5 jours, qui donne
une moyenne de 36 heures par semaine selon le système suivant :
une semaine de 5 x 8 heures suivie d’une semaine de 4 x 8 heures et
ainsi de suite. On obtient ainsi un week-end de trois jours toutes les
deux semaines. Ce système permet notamment d’éviter des journées de
travail trop longues du fait des rattrapages des ponts et des éventuelles
heures supplémentaires.
Les 35 heures en France : quelques leçons
L’EMPLOI, OBJECTIF
PRIORITAIRE DES LOIS AUBRY, EST ATTEINT :
-
De juin 1996 à décembre 2000, les accords de réduction
du temps de travail (loi Robien puis lois Aubry sur les 35 heures) ont
permis la création de 265'000 emplois, ce qui représente un emploi sur
six (certains économistes disent un emploi sur cinq) lié à la réduction
du temps de travail (RTT).
-
Si l’on inclut l’année 2001, l’effet net
des 35 heures se monte à 400'000 emplois.
-
Le processus de réduction du temps de travail
pourrait à son terme engendrer, au total, environ 500'000 créations
nettes d’emplois.
DES CONGES SUPPLEMENTAIRES PLUTOT QUE DES JOURNES DE
TRAVAIL PLUS COURTES
-
Pour la mise en œuvre des 35 heures, les
modalités les plus souvent retenues sont l’attribution de jours ou de
demi-journées de congé, des journées de travail moins longues et,
dans une moindre mesure, la modulation (annualisation), comme le montre
le résumé d’une enquête effectuée auprès des salariés de plus de
22'000 entreprises (Tableau 3).
DANS L’ENSEMBLE, LES SALARIES SONT SATISFAITS
- 59.2 % indiquent avoir connu une amélioration
de leur vie quotidienne ;
- 28 % déclarent n’avoir connu aucun changement ;
- 12.8 % font état d’une dégradation de leur
vie quotidienne (Ce qui est essentiellement lié à la flexibilité
accrue des horaires.)
-
S’agissant des
conditions de travail, « l’effet 35 heures » semble
neutre : 25 % des même salariés considèrent avoir connu une amélioration,
29 % (salariés du bas de l’échelle surtout, qui invoquent une
intensification des rythmes de travail) estiment avoir subi une dégradation,
et 46 % n’évoquent aucun changement.
-
Publiée en 1999, une autre enquête faisait état
d’un engouement encore plus important pour les 35 heures. Parmi les
salariés déjà au bénéfice de cette réforme, 75 % jugeaient le
bilan positif pour leur qualité de vie, et 62 % en ce qui concerne
leurs horaires de travail. Détail piquant, les électeurs RPR étaient
aussi enthousiastes que ceux du PS et plus encore que les écologistes !
(« Le Nouvel Observateur, 14 octobre 1999).
-
La
vie
familiale profite de la RTT. Un tiers des salariés interrogés déclarent
que la conciliation entre travail et vie de famille est devenue plus
facile. Parmi les parents d’enfants qui vont à l’école, 30 %
estiment consacrer plus de temps à la scolarité des enfants
-
Les 35 heures changent même les vacances ;
la réduction du temps de travail incite à partir plus souvent, et pas
seulement l’été.
Réponses à quelques
objections
-
On a prétendu que quelques entreprises françaises,
notamment horlogères, étaient venues s’installer en Suisse pour échapper
à la loi sur les 35 heures. Il y a bien eu un ou deux cas de ce genre,
mais le motif était ailleurs, à savoir l’obtention du Swiss made !
-
Au sein du mouvement syndical, quelques cadres
et militants, très minoritaires, prétendent qu’en acceptant l’idée
d’une durée annuelle du travail, l’initiative de l’USS va à
l’encontre des objectifs syndicaux. Or, l’annualisation existe déjà
dans de nombreuses branches, et il s’agit de savoir si nous voulons
une annualisation sans conditions ou une annualisation qui va de pair
avec une réduction massive de la durée du travail tout en permettant
d’introduire des formes d’organisation du travail qui séduisent de
plus en plus les travailleurs, car elles offrent du vrai temps libre :
semaine de 4 jours ; journées de réduction du temps de travail ;
vacances supplémentaires.
-
Les adversaires de l’initiative prétendent
que « ce n’est pas le moment » de réduire la durée du
travail. Je rappelle que, depuis plus d’un siècle, cet argument est
constamment invoqué lorsqu’il est question d’amélioration des
conditions de travail. Ainsi, en 1877, les opposants à la loi sur les
fabriques affirmaient qu’elle entraverait toute amélioration des
salaires en imposant de nouvelles charges aux fabricants, déjà limités
par la concurrence étrangère. En 1924, la loi Schulthess, qui voulait
augmenter la durée du travail de six heures, était défendue en prétendant
que la semaine de 48 heures était nuisible à l’industrie
d’exportation, qu’il n’était pas préjudiciable à un homme en
bonne santé de travailler 54 heures par semaine plutôt que 48, et que
nombre d’ouvriers ne pouvaient concevoir qu’on leur interdise de
prolonger la durée du travail pour gagner davantage.
-
Pour les adversaires de l’initiative, l’économie
ne peut pas supporter la réduction de la durée du travail. Plusieurs
faits démontrent le contraire :
-
En Allemagne, la durée du travail dans la métallurgie
a été ramenée à 35 heures en 1995, sans pour autant que les
constructeurs allemands d’automobiles et de machines ne perdent leur
place de numéro un.
-
Aux Pays-Bas, la semaine de 36 heures a été
introduite en 1996 dans le secteur bancaire. Celui-ci ne s’est pas
effondré.
- Dans les années nonante, les salaires réels et
la durée du travail sont restés nettement en retrait par rapport aux
gains de productivité. Un rattrapage s’impose.
- Dans l’histoire économique de la Suisse,
aucune réduction du temps de travail n’a jamais entraîné la ruine
de l’économie ; ni l’introduction de la journée de 11 heures
en 1877, ni celle de la semaine de 48 heures après la Grève générale
de 1918, ni la semaine de 40 heures dans divers secteurs industriels
dans les années quatre-vingts n’ont provoqué le chaos. Les
entreprises ont toujours su s’adapter et se réorganiser en conséquence.
- Dans la même optique, la plupart des opérations
de réduction du temps de travail se sont fait dans diminution des
salaires.
- La Norvège ou la durée du travail est en
moyenne de 38.4 heures par semaine, connaissait un taux de chômage de
3.5 % en 2000. La même année, le taux de chômage était de 5.9
- % en Suède, pays ou l’on travaille pourtant
davantage, c’est-à-dire 40.1 heures par semaine.
-
Pendant les années nonante, le revenu moyen par
habitant du Danemark a progressé cinq fois plus vite qu’en Suisse, et
il a progressé six fois plus vite au Luxembourg et en Norvège. Or,
dans tous ces pays, on travaille moins qu’en Suisse…
-
La Suisse ne doit pas son niveau de vie à ses
horaires à rallonge, mais à la productivité au-dessus de la moyenne
de sa main-d’œuvre. Ce n’est pas un hasard si les branches qui ont
des problèmes structurels et une moindre création de valeur sont
justement celles où sont appliquées les horaires de travail les plus
longs : agriculture, transports, hôtellerie, restauration.
-
La réalisation de l’initiative n’entraînera
pas non plus une augmentation massive des charges des entreprises. En
effet, l’initiative demande une réduction progressive du temps de
travail. D’ici à 2009 au plus tard, toutes les entreprises devront
avoir réduit la durée annuelle du travail à 1'872 heures. Plus concrètement
encore, si l’initiative était acceptée le 3 mars prochain, sa mise
en œuvre se ferait de la façon suivante :
- 2003 : Toutes les entreprises passent à la
semaine de 42 heures.
-
Ensuite, pendant six ans, la durée du travail
est abaissée d’une heure chaque année.
- 2009 : Fin du processus.
-
L’augmentation réelle dont il est question
ici en cas de passage à la semaine de 40 ou de 42 heures à la semaine
de 36 heures est globalement de 10 à 14 % - si le renchérissement est
entièrement compensé annuellement. Comme la mise en œuvre de
l’initiative s’étend sur 7ans, elle ne correspond qu’à une
augmentation annuelle de 1.5 à 2 %, e qui est une charge parfaitement
supportable.
-
On dit que l’initiative de l’USS est trop
audacieuse. C’est peut-être vrai, mais certains milieux sont encore
plus audacieux. J’en veux pour preuve qu’à partir de mars 1998, aux
termes d’une convention conclue entre les syndicats CFTC et CFDT
d’un coté, l’Eglise catholique de l’autre, les sacristains de
Lourdes sont passés à la semaine de 34 heures ! (Le Monde daté
du 6 janvier 1999).
Tableau No 1
Durée habituelle du travail par semaine, en
comparaison internationale (1998) |
Pays |
Durée hebdomadaire du
travail |
Allemagne |
40.1 |
Autriche |
40.1 |
Belgique |
38.6 |
Danemark |
38.7 |
Espagne |
40.7 |
France |
39.7 |
Grande-Bretagne |
44.8 |
Italie |
38.5 |
Pays-Bas |
39.0 |
Suède |
40.1 |
Suisse |
42.0 |
Tableau No
2
Jours
de congés et jours fériés dans quelques pays et en Suisse (1992) |
Pays |
Jours de congé |
Jours fériés |
Total |
Allemagne |
30.8 |
8.9 |
39.7 |
Luxembourg |
28.0 |
10.0 |
38.0 |
Italie |
22.7 |
15.0 |
37.7 |
Espagne |
23.4 |
14.0 |
37.4 |
Belgique |
25.0 |
10.0 |
35.0 |
France
|
25.0 |
10.0 |
35.0 |
Portugal |
23.8 |
11.0 |
34.8 |
Grèce |
25.0 |
9.0 |
34.0 |
Danemark |
25.0 |
8.0 |
33.0 |
Royaume-Uni |
25.0 |
8.0 |
33.0 |
Pays-Bas |
22.5 |
6.0 |
28.5 |
Suisse
|
20.8 |
7.6 |
28.4 |
Irlande
|
20.0 |
8.0 |
28.0 |
Tableau No
3
Modalités de la réduction du temps de travail :
priorité à l’octroi de jours de congé |
Formes
de réduction |
Pourcentage |
|
37.1 |
-
Un jour ou deux demi-journées
par semaine
- Une demi-journée par semaine
- Un jour ou deux demi-journées
par quinzaine
- Un jour par mois ou une
demi-journée par quinzaine ou par
mois
|
8.0
8.7
12.7
5.6 |
|
30.8 |
|
24.2 |
|
18.9 |
|
12.0 |
|
3.5
|
(Le total est supérieur à 100 % :
plusieurs
solutions peuvent coexister.) |
|
-
Source : Commissariat général
du plan. Réduction du temps de travail : les enseignements de
l’observation. Rapport de la commission présidée par Henri
Rouilleault. Paris, La Documentation française, 2001, 493 p.
|