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Opinion / Paru dans le quotidien Le Temps du 19 juillet 2004

Travailler plus pour relancer l’économie ou la grande illusion patronale

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), vice-président de l’USS

A l’époque des vacances, il est bon de se rappeler que celles-ci ne tombent pas du ciel. Comme la semaine de 40 heures, les congés payés sont nés en 1936, à l’époque du Front populaire. Et si la France était dirigée par un gouvernement de gauche, on oublie que ces réformes ont d’abord été le fait du mouvement syndical et des millions de travailleurs qui étaient en grève.

Rien n’est jamais acquis 

Près de septante ans après, la réduction de la durée du travail, qui peut prendre diverses formes (diminution du temps de travail hebdomadaire, augmentation des vacances, abaissement de l’âge de la retraite), reste l’une des conquêtes historiques du mouvement ouvrier. Mais l’actualité nous montre, comme disait Brassens, que « rien n’est jamais acquis à l’homme » et que la bataille du temps de travail va rebondir :

• En France, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin veut s’attaquer aux 35 heures d’ici aux élections de 2007. Se faisant le relais du Medef, la principale organisation patronale française, le Premier ministre a déclaré que « le progrès ne peut être obtenu que par une augmentation du travail ».

• En Allemagne, après Siemens, c’est au tour de DaimlerChrysler de négocier le passage de la semaine de 35 à celle de 40 heures, sans compensation salariale. Des discussions sont en cours dans d’autres entreprises : Continental, la Deutsche Bahn et Thomas Cook.

A terme, ce mouvement pourrait bien faire tache d’huile en Europe. Et donc aussi en Suisse, même si, dans notre pays, la durée du travail a diminué de … treize minutes par semaine en l’espace de dix ans et même si, en Europe occidentale, seuls les Britanniques travaillent plus que nous (plus de 43 heures par semaine, contre 41,7 heures en Suisse et moins de 40 en Europe). Certes, Nicolas Hayek a déclaré que cette question n’était pas à l’ordre du jour chez Swatch Group. Mais Johann Schneider-Ammann,  vice-président d’economiesuisse et président de Swissmem, l’organisation patronale des machines, est d’avis que l’exemple de Siemens « nous oblige à ouvrir le débat avec les syndicats et à travailler nous aussi plus longtemps ». 

L’effet 35 heures est réel (inter)

Bien que les cas français (où le débat est avant tout politique) et allemand (où ces changements sont négociés entre le patronat et les syndicats) soient différents, le discours tenu de part et d’autre du Rhin a beaucoup de points communs. Il repose sur l’idée que le retour aux 40 heures (et pourquoi pas à 42 ou à 44 !) favorisera la compétitivité des entreprises et la croissance, tout en évitant des délocalisations vers des pays à bas salaires.

Le premier argument est facilement démontable. Dans l’Union européenne, 9 % de croissance cumulée ont permis de créer 6 % d’emplois salariés entre 1998 et 2002. Toutefois, la France a fait mieux. Pour un point et demi de croissance supplémentaire, il y a eu près de trois points d’emplois salariés en plus, soit 300'000 postes. Ce qui fait dire à Denis Clerc, de la revue « Alternatives économiques : « Voilà sans doute l’impact des 35 heures sur l’emploi. Ceux qui prétendent qu’il n’en est rien devront expliquer, de façon plausible, d’où viennent ces emplois. ».

Martine Aubry estime pour sa part que « l’effet 35 heures » a créé 400'000 emplois, auxquels s’ajoutent 40'000 à 50’000 emplois indirects dans les loisirs, le sport et le tourisme. Quant ministère du Travail, il parle de 350'000 emplois. Au-delà de ces différences, il est certain que durant cette période, les 35 heures ont été, avec la croissance, l’un des deux grands moteurs de la création d’emplois. Ce que confirme le fait que la progression de l’emploi salarié a été de 11 % entre fin 1997 et fin 2001, dans le secteur marchand, soit un rythme de croissance analogue aux 11.7 % gagnés par le produit intérieur brut (PIB). Selon Denis Clerc, cela ne s’était jamais vu, et ne peut être expliqué que par la réduction du temps de travail.

Dans ces conditions, il faut bien admettre qu’un relèvement généralisé de la durée du travail serait une erreur sociale et économique. Erreur sociale dans la mesure où cette mesure favoriserait une remontée du chômage, alors que celui-ci recule régulièrement. Erreur sociale aussi parce que faire travailler les gens davantage sans hausse de salaire revient à diminuer leur pouvoir d’achat (ils devront travailler plus pour payer leur logement et leur alimentation), ce qui ne peut que freiner la reprise économique. Erreur économique parce que les branches qui offrent les plus mauvaises conditions sociales et les durées du travail les plus longues, comme l’agriculture et les transports routiers, ne sont pas celles qui ont la meilleure santé. 

Le poids relatif des délocalisations 

La question des délocalisations est plus délicate. Lorsqu’ils ont le couteau sous la gorge, beaucoup de salariés sont disposés à accepter des « sacrifices » pour conserver leur emploi. Ce phénomène s’amplifie lorsque plusieurs milliers d’emplois sont menacés. Mais de tels accords, comme ceux qui viennent d’être signés en Allemagne, devraient rester exceptionnels et limités dans le temps, lorsque des emplois sont réellement en jeu. D’abord parce qu’ils ne font que repousser des changements qui s’imposent en matière technologique et d’organisation du travail. Ensuite parce que la compétitivité et les standards sociaux des pays à « hauts revenus » ne pourront se maintenir que par des investissements massifs dans la formation, la recherche et l’innovation. Enfin parce que la lutte contre le dumping social et la sous enchère salariale ne pourra être gagnée qu’avec la création d’une organisation syndicale internationale puissante, capable d’organiser des actions et des luttes à l’échelle européenne, et si possible sur le plan mondial. Car pour le monde patronal, la tentation des délocalisations deviendra beaucoup moins forte à partir du moment où les conditions de travail des salariés d’Europe centrale et orientale et des pays du tiers monde se rapprocheront de celles que l’on connaît en Europe occidentale.

Si tout projet de délocalisation suscite une vive émotion et de légitimes actions de résistance dans la région et parmi les travailleurs concernés, comme dans l’affaire Portescap à La Chaux-de-Fonds, il ne faut cependant pas en exagérer les effets sur l’emploi global à l’échelon d’un pays ou d’un groupe de pays. « Les délocalisations existent, mais économiquement, elles ont peu de poids, souligne Pierre-Alain Muet, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Les échanges de l’Europe avec les nouveaux pays industrialisés, comme l’Asie du Sud-est, c’est un peu plus de 1 % du PIB européen. Certes, les délocalisations font perdre à la France entre 100'000 et 200'000 emplois. Soit entre 0.5 et 0.6 point de chômage. Mais ce ne sont pas elles qui expliquent les 18 millions de chômeurs que comptent aujourd’hui l’Europe. » Cette analyse remonte à 1997, mais depuis, les délocalisations ne se sont pas multipliées de manière à justifier le climat de panique que cherche à créer une partie de la droite et des milieux patronaux.

Il faut enfin rappeler que si la baisse du temps de travail n’a pas été continuelle (elle est notamment remontée sous Vichy), la période qui va de 1835 à nos jours a été exceptionnelle, puisque le temps de travail a diminué de moitié, passant de 3'000 à 1'630 heures par année en France. Ce qui a sans doute autorisé Keynes à pronostiquer qu’en 2030, les hommes ne travailleraient plus que 15 heures par semaine…

Jean-Claude Rennwald

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Jean-Claude Rennwald - conseiller national
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