actutxt.jpg (3616 octets)
ligne.gif (1583 octets)

Opinion

Europe économique et Europe sociale:
un débat … européen

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/Jura), vice-président de l’Union syndicale suisse (USS)

Voici quelques semaines, le Parti radical suisse a annoncé qu’il allait faire du retour à la croissance l’un des thèmes centraux de sa campagne électorale, en présentant l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes aux dix nouveaux Etats membres de l’Union européenne (UE) comme une chance pour l’économie suisse. Jusque-là, il n’y a rien à redire, puisque l’élargissement de l’UE de quinze à vingt-cinq membres va faire entrer 75 millions de nouveaux consommateurs dans le grand marché européen. Des possibilités nouvelles devraient du coup s’offrir aux industries suisses d’exportation.

La démarche devient franchement inacceptable lorsque Ulrich Fischer, porte-parole des milieux économiques radicaux, dénonce « l’alliance contre nature de l’UDC et des syndicats », alliance « qui éveille dans la population la crainte d’une nouvelle vague d’immigration et méconnaît totalement les chances qu’offre l’élargissement de l’Union européenne ». L’UDC tient un discours nationaliste et combattra, au nom de la défense de l’identité, l’extension de la libre circulation des personnes. La logique syndicale est fondamentalement différente. Le mouvement syndical est favorable à l’élargissement de l’Union, car cette opération accroîtra la stabilité du continent, favorisera la paix et permettra à de nouveaux pays d’adhérer à un grand projet politique, social et économique. Mais il ne faut pas se voiler la face. Certains pays d’Europe centrale et orientale (PECO) connaissent un chômage de masse (15 à 20 %) et le pouvoir d’achat y est sept à onze fois plus faible qu’en Europe occidentale. Dès lors, de nombreux travailleurs chercheront un emploi en Allemagne, en Autriche ou en Suisse.

Cette arrivée de salariés en provenance des PECO n’est pas gênante. Mais elle ne doit pas se transformer en instrument de pression sur les salaires et les conditions de travail. C’est pourquoi le mouvement syndical subordonne l’extension de la libre circulation des personnes à l’amélioration des mesures d’accompagnement social. Il convient de renforcer les commissions tripartites, notamment en matière de contrôles, et d’alléger les conditions  d’extension d’une convention collective de travail (CCT) à toute une branche économique.

L’élargissement des accords bilatéraux va profiter aux entreprises suisses d’exportation, ce qui est positif. Mais elle ne saurait se faire au détriment des salariés – suisses et immigrés – qui travaillent dans ce pays. Le patronat et la droite n’auront d’ailleurs qu’une marge de manœuvre limitée, car si la Suisse refusait l’extension de la libre circulation des personnes, l’Union dénoncerait tous les accords bilatéraux existants… Ah, qu’il serait plus simple d’adhérer à l’Union européenne !

Assimiler les syndicats à la droite nationale-populiste paraît d’autant plus inconvenant que, chez tous nos voisins, l’extension d’une convention collective est plus facile qu’en Suisse. En France, il suffit que l’une des parties – syndicat ou patronat – adresse une requête au Ministère du Travail, lequel prononce l’extension dans la plupart des cas. Cela permet de comprendre pourquoi 95 % des salariés français sont au bénéfice d’une CCT, alors qu’en Suisse, les conventions ne couvrent que 50 % des emplois privés. Les propositions de l’USS sont donc éminemment internationalistes, puisque leur mise en œuvre serait synonyme d’une plus forte intégration de la Suisse au droit social européen.

Cette problématique s’inscrit dans un débat plus vaste. Lors du récent congrès du PS français, j’ai constaté que beaucoup d’intervenants avaient adopté un ton très critique à l’égard de l’Europe, sur sa dérive libérale et son déficit politique et social. Le député des Landes Alain Vidalies a déclaré qu’ « il ne pouvait pas y avoir d’élargissement sans préalable quant au contenu de l’Europe ».

Certes, l’élargissement sera profitable à l’Europe des Quinze comme aux nouveaux adhérents, car elle leur apportera un surplus de croissance. Mais l’opération ne se fera pas sans douleur. En Europe orientale, l’adhésion risque d’accélérer les restructurations et donc de détruire de nombreux emplois. Quant à l’Europe de l’Ouest, elle ne sera pas victime d’une immigration massive. La Commission européenne estime toutefois que le nombre des résidents étrangers venus de l’Est s’accroîtra de 335'000 par an ces dix prochaines années. Certains employeurs tenteront d’utiliser ces nouveaux venus comme une main-d’œuvre à bon marché, notamment dans les secteurs de l’agriculture, des transports et du nettoyage. Mais le problème est plus complexe, comme le souligne la journaliste Françoise Pons dans « Politique internationale »: « Les travailleurs venant des pays candidats, où les niveaux d’éducation sont globalement élevés, ne vont pas tarder à entrer en concurrence avec les employés très qualifiés de l’actuelle Union. » Un ingénieur polonais de haut niveau pourrait en effet se « contenter » d’un salaire de 6'000 francs, en lieu et place des 10'000 à 15'000 francs auxquels son homologue suisse peut prétendre.

Cette dimension de la libre circulation des personnes plaide en faveur d’une forte régulation du marché du travail européen. Elle doit aussi faire prendre conscience que si l’Europe se contente d’être une vaste zone de libre-échange, elle ira au-devant de grandes difficultés. Le modèle européen ne peut être compris que comme une économie sociale de marché s’appuyant sur la protection sociale et des services publics développés. Par conséquent, la Constitution européenne doit mentionner l’établissement d’un espace de justice sociale, de cohésion économique, de plein emploi, de solidarité et de développement durable. L’Union se doit enfin d’instaurer des standards minimums communs pour la protection sociale et la politique sociale, à défaut de quoi le chaos s’installera partout.

ligne.gif (1583 octets)
Jean-Claude Rennwald - conseiller national
Rue de la Quère 17 - CH - 2830 Courrendlin (JU)
Privé : Tél. + Fax. / ++41 (0) 32 435 50 30
Professionnel : Tél./ ++41 (0) 31 350 23 62 - Fax / ++41 (0) 31 350 22 22
E-mail : rennwald@bluewin.ch - Internet : http://www.rennwald.ch
home_dessin_mc.gif (24457 octets) Npowered_simple.gif (1406 octets)