Apéritif de solidarité envers les
ouvriers de Tornos, Moutier, 5.9.2002
Le combat social est aussi un
combat culturel
Intervention de Jean-Claude Rennwald, membre du comité directeur du
syndicat FTMH, vice-président de l’USS, conseiller national (PS/JU)
J’aimerais tout d’abord féliciter les
responsables du Centre culturel de la Prévôté. Organisé en marge de la
Quinzaine culturelle de Moutier, cet apéritif de solidarité envers les
ouvriers de Tornos et d’autres salariés de la région représente tout un
symbole.
C’est bien sûr un symbole de solidarité entre des travailleuses et des
travailleurs victimes de la violence capitaliste et les responsables de
l’animation culturelle.
C’est aussi un symbole de résistance, car on oublie trop souvent qu’un
certain nombre d’artistes, de peintres, de chanteurs et d’écrivains ont
soutenu et partagé les luttes du mouvement ouvrier, d’autres catégories
sociales opprimées ou encore des peuples qui se battent pour leur
émancipation.
C’est enfin un symbole de créativité, car les œuvres artistiques les
plus profondes ont souvent vu le jour durant les périodes les plus
agitées, d’un triple point de vue politique, économique et social.
Je voudrais maintenant prendre quelques exemples, pour souligner que ces
notions de solidarité, de résistance et de créativité réunies se sont
manifestés à de multiples moments de l’Histoire. Quelques exemples qui,
je l’espère, vous monteront que les luttes sociales et la création
culturelle ont souvent marché de pair :
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L’un des plus célèbres exemples, c’est
bien sûr celui de Zola, qui décrit la mine dans Germinal.
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Mais c’est aussi la Commune de Paris,
en 1871, qui donne naissance à plusieurs chansons célèbres, comme « Le
temps des cerises ».
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C’est Jack London et ses innombrables
livres, comme « Les Vagabonds du rail », qui font écho aux luttes des
travailleurs américains.
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C’est encore le Front populaire, en
1936, qui introduit les congés payés et la semaine de 40 heures et
qui, de ce fait, donne le temps aux travailleurs d’accéder à la
création culturelle, en particulier au cinéma, lequel connaît une
véritable explosion à cette époque.
Le Front populaire donne ainsi raison à
Jean Jaurès, qui avait déclaré 30 ans auparavant, je cite : « Tout
progrès vient de la pensée et il faut d’abord donner aux travailleurs
le temps de penser. »
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Peu de temps après, au moment de la
Guerre civile espagnole, c’est Picasso qui peint Guernica, cette cité
basque complètement anéantie par les aviations franquiste et
hitlérienne.
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Un peu plus près de nous, c’est
Jean Vilar qui créé le Théâtre national populaire, le TNP, à Paris,
dans le but d’ouvrir au plus grand nombre cette forme d’expression
artistique jusque-là réservée à une élite.
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Plus près de nous encore, c’est Mai 68,
qui est bien sûr une révolte estudiantine et sociale, mais qui libère
aussi la parole et qui transforme fondamentalement les rapports
sociaux, culturels et mêmes sexuels. Un an auparavant, un grand
cinéaste, Jean-Luc Godard, avait anticipé cet immense mouvement social
dans un film magnifique, « La Chinoise ».
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Plus près de nous encore, la crise
horlogère des années septante a créé une très grande effervescence
culturelle dans les Montagnes neuchâteloises, et ce n’est sans doute
pas un hasard si La Chaux-de-Fonds est le siège du TPR, le Théâtre
populaire romand.
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A peu près à la même époque,
c’est-à-dire en 1973, une trentaine d’artistes jurassiens avaient
peint chacun une toile pour manifester leur solidarité avec le peuple
chilien, suite au coup d’Etat qui avait renversé Salvador Allende.
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On peut aussi rappeler le rôle que les
poètes ont joué dans le Jura ou l’apport magistral de chanteurs comme
Félix Leclerc, Pauline Julien ou Gilles Vigneault dans la lutte du
peuple québécois.
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Enfin, au moment où il vient de nous
quitter, nous ne saurions oublier de citer Jean-François Comment,
ardent défenseur de l’identité jurassienne et homme révolté contre
toutes les injustices. Et bien sûr Coghuf, qui s’était notamment
engagé contre le projet d’une place d’armes aux Franches-Montagnes.
Tout cela est bien beau, me
dira-t-on, mais on est bien loin de la Tornos. C’est vrai. Enfin oui et
non. Ma collègue Fabienne Blanc-Kühn vous a dit comment notre syndicat,
la FTMH, s’était engagé dans cette bataille.
Au-delà de ce problème précis et douloureux, il faut souligner que les
difficultés auxquelles sont confrontées beaucoup de travailleuses et de
travailleurs relèvent aussi de problèmes d’ordre culturel, au sens large
du terme. Je citerai deux exemples :
1. Notre système scolaire est
encore antidémocratique, en ce sens qu’il favorise le maintien d’un
fonctionnement élitaire. Ainsi, en l’espace de 20 ou 30 ans, la
proportion des enfants d’ouvriers qui accèdent à l’Université n’a pas
fondamentalement changé.
2. Les employeurs ne cessent
d’affirmer qu’ils ont besoin de gens toujours mieux formés, mais dans le
même temps, ils rechignent à créer les conditions permettant d’élever
les qualifications de la main-d’œuvre. De ce point de vue, le syndicat
FTMH a récemment réussi une percée historique, en obtenant l’inscription
d’un congé de formation annuel et payé dans la nouvelle convention
collective de travail (CCT) de l’horlogerie. Dans les mois et les années
à venir, les syndicats vont se battre pour obtenir un tel congé de
formation dans toutes les branches de l’économie.
Avec ces quelques propos, j’espère
vous avoir montré que le combat social est aussi un combat cultuel,
l’inverse étant tout aussi vrai. Autant dire que nous avons encore
beaucoup de choses à faire ensemble.
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